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Se croiser pour Genève

La naissance officielle de la Société des Nations, telle qu 'elle a été créée par la conférence de la Paix a pourtant été une déception générale. Son Pacte constitutif est considéré comme fort imparfait, du fait de son éloignement des conceptions françaises, considérées comme seules capables d' assurer le maintien de la paix. Le mot d' ordre des organisations de soutien à la SdN est donc au début des années vingt la révision du Pacte et, à cette fin, on compte particulièrement sur l' appui de l' opinion publique, jugée indispensable au triomphe des revendications françaises.

Cette conquête de l' opinion publique s' avère néanmoins fort difficile, car le mouvement de soutien à la SdN souffre de plusieurs handicaps. D' une part, l' émiettement des structures de propagande, aggravé par la création d' organisations spécifiques à certains milieux (universitaires, féministes, catholiques, protestants, francs-maçons, etc.), farouchement attachées à leur indépendance et refusant de fusionner en une seule organisation puissante sur le modèle britannique. L' ambition de l' AFSDN de regrouper en son sein toutes les bonnes volontés en dehors de toute considération politique ou confessionnelle a donc échoué, et la Fédération française des associations pour la SdN n' est qu' une façade destinée à masquer aux yeux de ses homologues étrangers les divisions internes du mouvement français.

La capacité de mobilisation du mouvement pour la Société des Nations n' en est que plus limitée : les effectifs varient d' une association à l' autre, d' une section à l' autre, de quelques centaines à quelques milliers de membres tout au plus. Les associations françaises pour la Société des Nations sont donc des états-majors sans soldats, dominées par une petite élite politique et intellectuelle, généralement proche de la mouvance radicale. La faiblesse des adhérents entraîne un manque chronique de ressources que ne compensent pas les subventions officielles qui font en grande partie vivre ces associations. La propagande pour la Société des Nations doit donc se faire avec des caisses souvent vides. La seule bonne volonté d' un petit noyau de militants zélés ne saurait dès lors suffire à créer un vaste courant d' opinion en faveur des organismes de Genève. Les efforts déployés au service de la SdN sont donc inégaux, à la fois dans l' espace (le territoire français est inégalement touché) et dans le temps.

Le succès de la propagande pour la SdN nous apparaît, en effet, intimement liée à l' évolution de la politique étrangère française et l' époque de Briand représente ainsi la période la plus éclatante de l' activité des pacifistes genevois. Au contraire, l' action du mouvement pour la SdN est particulièrement difficile à l' époque du Bloc national qui est accusé de mener une politique de défiance à l' égard de la Société des Nations. Les divergences entre le pouvoir et la frange la plus « avancée » du pacifisme genevois sont donc de plus en plus profondes et conduisent progressivement à une opposition ouverte à la politique de Poincaré. Car si la plupart des pacifistes genevois considèrent que le traité de Versailles est conforme au droit et à la justice, ils sont nombreux à en réclamer une application assez souple, afin de soutenir la jeune et fragile démocratie allemande. La main tendue à la vaincue de 1918 est une préoccupation constante et dès le début des années vingt, on souhaite qu' elle puisse entrer à la Société des Nations. L' occupation de la Ruhr en 1923, même si l' on reconnaît que la France avait le droit d' agir de la sorte, est dénoncée pour ses effets désastreux : cette politique n' a fait que dresser les Allemands contre la France et couper cette dernière de ses alliés.

La victoire du Cartel des gauches en 1924, à laquelle nombre de militants concourent directement, représente donc un véritable tournant dans l' histoire du militantisme genevois car sa propagande est désormais pleinement en phase avec la politique défendue par le nouveau pouvoir. On se félicite ainsi ouvertement des premiers résultats acquis par le gouvernement Herriot, qui se montre si disposé à utiliser la Société des Nations et dont les efforts ont permis l' adoption du Protocole de Genève. Malgré la chute du Cartel, la proximité idéologique continue de rester forte avec la politique étrangère menée par Aristide Briand dans la seconde moitié des années vingt. Les associations appuient très nettement ses efforts et applaudissent à ses succès, notamment la signature des accords de Locarno.

Pourtant, si l' état d' esprit a changé et si la propagande pour la SdN peut désormais prendre une nouvelle ampleur, les militants français ne sont pas sans s' inquiéter de l' évolution prise par l' organisme genevois qui additionne, dans ces années pourtant glorieuses de son action, les crises et les échecs : la crise provoquée par l' entrée de l' Allemagne à la SdN en 1926, les recommandations qui demeurent sans effet de la Conférence économique internationale de 1927, la laborieuse ratification par la France de l' Acte général d' arbitrage signé en 1928, etc. Face à cette difficile mise en oeuvre de la diplomatie multilatérale, beaucoup de pacifistes genevois conviennent que le monde n' est visiblement pas mûr pour les solutions universelles et ils fondent leurs espoirs sur le développement de regroupements régionaux dans le cadre et dans l' esprit de la SdN. Ils s' intéressent particulièrement à la création d' une union européenne, qui leur paraît vitale, mais l' enterrement du projet de fédération européenne proposé par Briand en 1929 déçoit rapidement ces espoirs.

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