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Le temps des épreuves

L'ébranlement que connaît la sécurité collective dès le début des années trente avec le conflit sino-japonais, l'impasse de la Conférence du désarmement et l'invasion de l'Éthiopie, sont autant d'échecs pour la Société des Nations, rudement menée par les régimes autoritaires, et d'épreuves successives, particulièrement douloureuses, pour les apôtres de l'« esprit de Genève ». La grande espérance des années vingt de réconciliation et de coopération internationales semble mort-née. La foi dans la Société des Nations n'est pourtant guère ébranlée, car on estime que ce sont surtout les gouvernements qui sont responsables de ses échecs, coupables de ne pas avoir le courage d'appliquer les dispositions du Pacte, coupables de se servir de la Société des Nations au lieu de la servir. On réfléchit néanmoins à réformer la SdN pour en améliorer son fonctionnement, mais cette possibilité semble progressivement disparaître en raison de la montée des tensions internationales.

La tentation est alors grande de trouver les moyens de s'entendre avec les dictateurs plutôt que de risquer une nouvelle guerre, mais cette chimère caressée un temps, s'effondre avec le conflit italo-éthiopien. L'attitude de fermeté contre la voisine fasciste l'emporte alors, ce qui vaut au pacifisme sociétaire d'être accusé de bellicisme par un pacifisme radical, qui s'affirme de plus en plus comme un concurrent redoutable. Mais contre les partisans de la paix « à tout prix », les militants pour la SdN répètent que la paix « a un prix » : point de paix hors du droit. Pourtant, en 1936, au moment de la remilitarisation de la Rhénanie, la tendance semble davantage à l'apaisement. Le mouvement pour la SdN se contente, en effet, d'une réaction peu vigoureuse, par crainte de la guerre avec Hitler, et se trouve alors totalement en phase avec l'opinion publique.

La guerre d'Espagne et les coups de force de Hitler contre l'Autriche et les Sudètes permettent néanmoins à une attitude de fermeté de l'emporter au sein des militants français pour la SdN. On appelle alors à la création d'une coalition des États restés fidèles à Genève et résolus à appliquer le Pacte afin de faire barrage aux puissances fascistes. La plupart des pacifistes genevois se montrent à la veille du second conflit mondial d'une assez grande clairvoyance et appellent les Français à faire les sacrifices nécessaires, notamment en termes de réarmement, pour rétablir l'équilibre des forces avec les gouvernements dictatoriaux et ainsi sauver la paix.

Le déclenchement de la seconde guerre mondiale, malgré l'échec des solutions juridiques qu'il incarne, ne remet pas en cause chez les militants de la SdN la nécessité de faire reposer la paix future sur le droit. Mais les projets qui sont débattus à l'époque de la « drôle de guerre », indiquent désormais une nette préférence en faveur d'une Société des Nations, peut-être moins vaste que celle de Genève, mais au sein de laquelle les États contractants s'imposeraient des obligations plus approfondies (on parle alors volontiers de fédéralisme).

Après avoir traversé l'épreuve de la défaite et de l'occupation, sans se compromettre dans la grande majorité des cas avec le nouvel ordre européen nazi, mais au contraire en luttant le plus souvent contre lui, les militants pour la sécurité collective jouent un rôle particulièrement actif, à l'époque de la Libération, dans la définition des exigences françaises en matière d'organisation internationale. S'ils refusent de condamner la SdN, ils acceptent volontiers de populariser dans l'opinion publique la nouvelle organisation internationale qui l'a remplacée et à la création de laquelle ils ont notablement participé. Leur foi sincère dans les vertus du nouvel organisme est cependant vite déçue par la paralysie qui le touche bientôt du fait de l'antagonisme américano-soviétique. L'ONU apparaît dès lors bien incapable de maintenir la paix, notamment en raison de la question du droit de veto au Conseil de sécurité.

Le double échec de la SdN et de l'ONU est évidemment une cruelle épreuve pour ces militants pacifistes qui arrivent en cette fin des années quarante à l'automne de leur vie. Ne parvenant pas à créer dans l'opinion publique le moindre enthousiasme autour de l'ONU, ni à trouver les hommes et les femmes qui pourraient reprendre le flambeau du pacifisme juridique, le mouvement pour l'ONU et plus généralement le mouvement en faveur de la paix par le droit se meurt dans l'indifférence générale.

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