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Un nouvel apport à l'histoire de l'idée européenne au XXe siècle  

Les militants pour la SdN furent également tiraillés entre leur ardeur universaliste incarnée par une Société universelle des Nations - qui restera un idéal indépassable - et une ambition européenne imposée par les réalités du temps. La problématique européenne apparaît même très tôt au sein du mouvement pour la Société des Nations, dès le début des années vingt, à la suite du refus des États-Unis d'Amérique d'adhérer à l'organisme qu'ils avaient grandement contribué à fonder. C'est davantage encore l'échec du Protocole de Genève et les accords de Locarno qui donnent à l'idée européenne sa grande vigueur et font envisager par de nombreux esprits la reconstruction de la Société des Nations sur des assises régionales. Puisque « la solidarité internationale universelle n'est pas encore suffisamment intégrée, profonde et consciente pour s'égaliser à la surface de la terre et s'organiser uniformément (1) », on imagine que la SdN devrait avoir avant toute chose « une base européenne solide » et se transformer en « une fédération de fédérations (2) ». En quelque sorte, ces États-Unis d'Europe la « fortifieraient intérieurement par la solidité d'une Europe organisée (3) ». Car il s'agit toujours dans ce milieu d'agir dans le cadre et dans l'esprit de la SdN, dont le Pacte, dans son article 21, prévoit la possibilité d'accords régionaux.

Ce projet européen n'est pas sans rencontrer de nombreuses critiques, chez les militants français, comme parmi leurs homologues étrangers. Mais il demeure que la question de la réalisation d'une union européenne fait alors l'objet d'une étude fort approfondie, qui nourrit les débats des associations pendant de nombreux mois et contribue à préparer l'initiative d'Aristide Briand. De nombreux éléments qui font encore aujourd'hui débat, sont alors posés avec une grande acuité, comme la définition des limites de l'Europe, la nécessité des réductions de souveraineté, ou encore les rapports du vieux continent avec les mondes extra-européens. Si après l'échec du projet Briand et l'arrivée au pouvoir d'Hitler, l'idée d'un regroupement européen passe au second plan, les pacifistes genevois qui survivent à la deuxième guerre mondiale, sont des passeurs d'idée européenne. Plusieurs d'entre eux s'investissent alors plus ou moins directement au sein du mouvement qui, à la fin des années quarante, favorise cette idée. Considérant que, face à la division du monde en deux blocs antagonistes et aux échecs inquiétants subis par l'ONU, une solution universelle est encore trop prématurée, ils appellent à l'unification de l'Europe occidentale, seule solution à leurs yeux capable de lui apporter un avenir pacifique.

La construction européenne telle qu'elle se met alors en place au début des années cinquante, c'est-à-dire s'effectuant par la méthode de l'intégration sectorielle, et entre un nombre restreint d'États, déçoit pourtant bien des militants genevois : un fossé générationnel sépare désormais les apôtres de la SdN des pionniers de l'intégration européenne.

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(1) SCELLE Georges, Une crise de la Société des Nations. La réforme du Conseil et l'entrée de l'Allemagne à Genève (mars-septembre 1926), Paris, PUF, 1927, p. 213-214.

(2) Propos d'Alphonse Aulard cités dans « Bulletin de la Ligue des Droits de l'Homme : Deux conférences », Cahiers des droits de l'Homme, 25 février 1926, p. 84.

(3) AULARD Alphonse, « Vers les États-Unis d'Europe », La Dépêche, 12 juin 1926, p. 1.