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Un éclairage nouveau sur l'influence des réseaux privés dans la conduite de la politique étrangère de la France

Les associations pour la SdN entretiennent une relation assez forte avec les milieux décisionnels, notamment parce qu'elles sont officiellement financées par la République et que ce financement constitue l'essentiel de leurs ressources, et aussi parce que leur composition fait la part belle aux parlementaires et aux délégués officiels de la France à Genève. Cette étude du militantisme pour la SdN a donc permis de se livrer à une réflexion sur la notion de « petit groupe » dans la conduite de la politique étrangère de la France, notion dégagée notamment par Jean-Baptiste Duroselle et Jean-Claude Allain.

De fait, la capacité des organisations de soutien à la SdN à influer sur le cours de la politique extérieure de la France ne fut pas négligeable, même si elle se révèle variable selon les périodes. On a ainsi pu repérer leur influence en 1918-1919 dans la définition des conceptions françaises en matière de Société des Nations lors des négociations officielles de la Conférence de la paix. Ensuite, on a pu montrer qu'elles ont joué un rôle notable dans la maturation idéologique de la politique extérieure du Cartel des gauches. Bon nombre de pacifistes genevois rejettent, en effet, la politique du Bloc national et, même s'ils considèrent que le traité de Versailles est conforme au Droit et à la Justice, ils sont nombreux à en réclamer une application plus souple, afin de soutenir la jeune et fragile démocratie allemande. Ils définissent bien avant l'heure ce que devra être une politique extérieure « républicaine » : le rapprochement de la France avec ses alliés et l'utilisation moins timorée de l'organisation de Genève. En 1924, ils ne manquent donc pas de rendre hommage à la politique menée par le gouvernement du Cartel des gauches.

Les associations pour la Société des Nations contribuent ensuite, dans la seconde moitié des années vingt, à entretenir un climat favorable aux efforts entrepris par Briand en faveur de la réconciliation européenne et le mouvement pour la SdN, dans toute la diversité de ses composantes, marche désormais derrière l'inamovible ministre des Affaires étrangères, considéré comme l'incarnation de la France généreuse et bienfaisante, même si on demeure lucide sur les imperfections de son oeuvre, tels le Pacte Briand-Kellogg assorti d'aucune sanction ou le projet de fédération européenne dont on redoute qu'il aboutisse à vider la SdN de sa substance. Au début des années trente, les associations genevoises jettent également toutes leurs forces dans la bataille en faveur du désarmement et soutiennent farouchement le plan français défendu par Paul-Boncour.

En revanche, dans les années trente, elles perdent de leur influence dans la conduite de la politique étrangère de la France. La montée des périls et les échecs successifs de la SdN les éprouvent durement et paralysent progressivement leur action. La grande espérance des années vingt de réconciliation et de coopération internationales semble mort-née, ce qui ne remet toutefois pas en cause leur foi dans la Société des Nations : on estime que ce sont surtout les gouvernements qui sont responsables de ses échecs, coupables de ne pas avoir le courage d'appliquer les dispositions du Pacte, coupables de se servir de la Société des Nations au lieu de la servir. Pour autant, la position des pacifistes genevois est fluctuante : même si on sent progressivement dominer, à partir du conflit italo-éthiopien, une ligne en faveur de la résistance aux dictateurs et de la défense du Pacte, qu'il ne s'agit plus alors de réformer mais de sauver, on constate néanmoins en 1936 une tendance à l'apaisement avec Hitler. Réorganisé ensuite sous la houlette de Paul-Boncour, le mouvement de soutien à la SdN adopte néanmoins jusqu'à la guerre une attitude de fermeté, mais qui ne fait pas l'unanimité.

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