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Une contribution à l'étude du militantisme associatif proche du courant radicalisant

La vocation première des groupements de soutien à la SdN est donc de créer un vaste courant d'opinion en faveur des organismes de Genève, ou comme l'indiquait l'un de ses leaders, l'historien Alphonse Aulard, de « mieux faire connaître et, par suite, faire aimer la Société des Nations », et ainsi de « préparer l'atmosphère morale […] nécessaire à la Société pour la pleine réalisation de sa mission(1) ». Beaucoup des zélateurs français de la Société des Nations ont même eu le sentiment d'être investis de la mission de convertir les consciences à la nouvelle religion de la paix par le Droit, se considérant comme de véritables « pèlerins de la paix(2) », voire de véritables apôtres voulant « susciter partout la foi dans la Société des Nations qui seule peut faire sortir l'humanité de ses anciennes violences(3) ».

Des conférenciers zélés à Paris comme en Province ont tenté de susciter l'adhésion du pays à l'organisation genevoise qui, selon eux, ne pouvait vivre et se développer sans un soutien populaire. Une action spécifique a notamment été menée en direction des femmes, par le biais de l'Union féminine pour la SdN, et surtout de la jeunesse, grâce au Groupement universitaire pour la SdN qui a notamment compté dans ses rangs Robert Lange, Pierre Cot, Pierre Brossolette, René Pleven, Bertrand de Jouvenel, Jacques Kayser ou encore Georges Pompidou. Cette propagande, souvent relayée sur le terrain par des organisations elles aussi favorables à « l'esprit de Genève », telles les sections locales de la Ligue des droits de l'homme ou des associations d'anciens combattants, ne paraît pas négligeable et semble même parvenir en maints endroits à pénétrer les régions les plus reculées. Avec l'ébauche du regroupement des forces pacifistes qui marque la fin des années vingt, sous la forme de cartels de la paix, la mobilisation de l'opinion publique en faveur de la paix par la SdN prend des proportions tout à fait considérables et réussit à réunir dans chaque ville plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'auditeurs. Ces manifestations d'éclat ainsi que les hauts faits des propagandistes relayés par la presse sympathisante ou les organes de ces associations ne doivent toutefois pas faire illusion : les efforts déployés au service de la SdN restent inégaux, à la fois dans le temps (une section locale peut mener une année une brillante activité, puis retomber quelques mois plus tard dans la somnolence ou disparaître) et dans l'espace (le territoire français est inégalement touché, car les moyens financiers sont insuffisants et les orateurs dévoués trop rares). Ces défaillances de la propagande orale ne sont, hélas, pas compensées par la large diffusion de tracts ou par la création d'un organe populaire à grand tirage. L'endoctrinement par l'écrit reste confiné à une élite intellectuelle même si les leaders du pacifisme genevois tentent de diffuser leurs convictions dans la presse quotidienne ou certaines revues.

La propagande pour la SdN a donc plutôt failli dans sa volonté de conquérir largement l'opinion publique : les groupements de soutien à la SdN n'ont jamais rassemblé, même au plus fort de leur gloire, que quelques milliers de sympathisants tout au plus, ce qui est bien inférieur au cas britannique. La raison en est que le militantisme pour la SdN a souffert de plusieurs handicaps, particulièrement de l'émiettement et de l'enchevêtrement des structures de propagande, aggravés par la création d'organisations spécifiques à certains milieux (universitaires, féministes, catholiques, protestants, francs-maçons, etc.), farouchement attachées à leur indépendance et refusant de fusionner en une seule organisation puissante sur le modèle britannique. Les associations françaises pour la Société des Nations furent donc des états-majors sans soldats et la faiblesse de leurs adhérents a entraîné un manque chronique de ressources. Le militantisme pour la SdN est donc largement resté en France un militantisme d'élite, mais qui a su attirer à lui certains des plus brillants hommes politiques et intellectuels de leur génération, pour la majorité marqués à gauche et appartenant principalement à la mouvance radicale : des parlementaires (Léon Bourgeois, Jean Hennessy, Henry de Jouvenel, Joseph Paul-Boncour), des mathématiciens (Paul Appell et Émile Borel), des historiens (Alphonse Aulard), de philosophes (Théodore Ruyssen), des juristes (Georges Scelle, René Cassin, Joseph Barthélemy), des sociologues (Célestin Bouglé, Paul Fauconnet),…qui se sont investis dans le combat pour la Société des Nations avec conviction.  

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(1) « Délégation auprès du président de la neuvième Assemblée », Bulletin de l'Union internationale des associations pour la Société des Nations, octobre-décembre 1928, p. 9.

(2) Discours prononcé par Alphonse Aulard lors de la séance inaugurale du congrès de l'Union internationale des associations pour la Société des Nations à Berlin, le 26 mai 1927, repris dans « La Société des Nations », Cahiers des droits de l'Homme, 10-25 août 1927, p. 389.

(3) UIASDN, Compte rendu de la IVe assemblée plénière,annexes, Publication du bureau central, 1920, p. 31.