Le plan d'union européenne d'Aristide Briand et son échec


Le mérite du projet d’Aristide Briand est le mérite d’avoir sorti l’idée européenne du champ des spéculations intellectuelles pour l’introduire au cœur des réalités diplomatiques, avec un succès qui ne fut malheureusement pas au rendez-vous. Mais pourquoi Briand a-t-il jugé bon de s’emparer de l’idée européenne à la fin des années vingt et pourquoi ses efforts n’ont-ils pas abouti ?

En complément du cours lire : "Il y a 80 ans... Quand Aristide Briand proposait de construire une « Union européenne » à 27 !"


I. Les origines du discours européen de Briand

A. La recherche de la paix et de la sécurité en Europe

=> Une idée en germe depuis Locarno?
Le 31 juillet 1929, Briand déclare devant les députés français "il y a quatre ans que je réfléchis à ce vaste problème". En février 1926, parlant des accords de Locarno, il a cette formule: "J’y suis allé, ils sont venus, et nous avons parlé européen" (Assemblée nationale, le 26 février 1926).

B. Des circonstances qui paraissent favorables à une initiative européen en 1929

 

C. Le discours du 5 septembre 1929

Discours de Briand le 5 septembre 1929 devant la Xe Assemblée de la SDN. Première initiative diplomatique de l'histoire en faveur de l'organisation d'un regroupement des nations européennes.

 

"[…] Je pense qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral. Ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter de leurs intérêts communs, de prendre des résolutions communes. Ils doivent, en un mot, établir entre eux un lien de solidarité qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves si elles venaient à naître.
C’est ce lien, messieurs, que je voudrais m’efforcer de créer. Évidemment, l’association agira surtout dans le domaine économique : c’est la nécessité la plus pressante. Je crois qu’on peut en ce domaine, obtenir des succès. Mais je suis sûr aussi qu’au point de vue politique ou au point de vue social, le lien fédéral,sans toucher à la souveraineté d’aucune des nations qui pourraient faire partie d’une telle association, peut être bienfaisant ».

Lire l'intégralité de ce discours

II. Le plan français d'union fédérale européenne (1er mai 1930)

A. Les premières réactions face à l'initiative de Briand

Le 9 septembre 1929 : Aristide Briand réunit lors d'un déjeuner à l'Hôtel des Bergues à Genève les délégués des 27 Etats européens membres de la SDN.

L’idée ayant alors été favorablement accueillie par les délégués européens.

B. L'élaboration du mémorandum français

Briand confie à son chef de cabinet, en même temps directeur des Affaires politiques et commerciales du Quai d’Orsay, le soin de rédiger un document précisant les points essentiels sur lesquels devait porter son projet d’union européenne : Alexis Léger, plus connu sous le nom de Saint-John-Perse, s’acquitte de cette tâche au printemps 1930, non sans avoir tenu compte des différents points de vue en présence au sein du ministère.

ARCHIVES : Voir le manuscrit du Mémorandum français rédigé par Alexis Léger (site du Quai d'Orsay)

C. Le contenu du mémorandum

Préambule :  
- Réfutation des accusations selon lesquelles l’institution nouvelle pourrait nuire à la SDN
  • « Il ne s’agit nullement de constituer un groupement européen en dehors de la SdN, mais au contraire d'harmoniser les intérêts européens sous le contrôle et dans l'esprit de la SdN (…) »
- Réfutation d’une éventuelle hostilité du projet à l’égard d’autres Etats extra-européens
  • L’abolition des douanes intérieures ne signifie pas l’instauration aux limites de la communauté d’une « barrière plus rigoureuse ».
- Pas d’abandons de souveraineté de la part des Etats membres
  • « C’est sur le plan de la souveraineté absolue et de l’entière indépendance politique que doit être réalisée l’entente entre nations européennes ».
Propositions concrètes du Mémorandum  
Elaboration d’un « pacte d’ordre général à caractère politique »  

Mécanisme propre à l'Union européenne

  • Conférence européenne
  • Comité politique
  • Secrétariat
  • « Assurer à l’Union européenne les organes indispensables à l’accomplissement de sa tâche ».
"Subordination du problème économique au problème politique".  
"Fédération fondée sur l'idée d'union et non d'unité "
  • ( « Extension progressive à toute la communauté européenne de la politique de garanties internationales inaugurée à Locarno »)
"Rapprochement des économies européennes réalisé sous la responsabilité politique des gouvernements solidaires"


  • « pacte de solidarité économique » dont le but final serait l’ « établissement d’un marché commun pour l’élévation au maximum du niveau de bien-être humain sur l’ensemble des territoires de la Communauté européenne».
  • « organisation rationnelle de la production et des échanges européens par voie de libération progressive et de simplification méthodique de la circulation des marchandises, des capitaux et des personnes »

Lire le mémorandum du gouvernement français sur un régime d'union fédérale européenne


III. L’échec du projet français

A. Les réponses des 26 gouvernements européens

Briand joua de malchance. Entre sa proposition de septembre 1929 et le mémorandum de mai 1930, le contexte international change radicalement :

- le ministre allemand des Affaires étrangères, Gustav Stresemann, avec lequel il a entamé depuis 1925 un fragile rapprochement, meurt en octobre 1929, et on assiste alors avec ses successeurs à un durcissement de la politique allemande à l’égard de la France.

Quelques semaines plus tard, c’est une violente crise boursière qui frappe Wall Street et qui allait profondément modifier les rapports économiques internationaux, entraînant un réflexe général de repli national.

Les réponses des 26 gouvernements européens arrivées au Quai d’Orsay à l’été 1930, tout en reconnaissant la nécessité d’une coordination européenne, avançaient une série d’objections, relatives notamment au mécanisme institutionnel prévu qui risquait de nuire à la SDN, ou à la subordination de l’économique au politique.

Pour sa part, l’Allemagne voyait dans le projet le moyen pour la France de maintenir le statu quo territorial et sa suprématie en Europe, et c’est pourquoi elle envisagea dès lors « un enterrement de première classe pour l’action de Briand ».

Quant aux Britanniques, ils donnaient à ce moment la priorité à leur empire et s’inquiétaient des menaces que le projet français faisait peser sur la Société des Nations, institution au sein de laquelle ils occupaient un rôle prédominant.

Pour résumer les critiques ou réserves formulées par les 26 gouvernements européens :

B. La création de la Commission d’étude pour l’Union européenne (septembre 1930)

Le plan français constitua néanmoins, en septembre 1930, le sujet principal des séances plénières de la XIeAssemblée de la SDN, qui décida finalement, le 17 septembre 1930, de créer une modeste « Commission d'étude pour l'Union européenne » chargée d’analyser les modalités de la coopération européenne.

La présidence en fut naturellement confiée à Aristide Briand.

C. L'enlisement des travaux de la Commission

La CEUE tient une première session, de pure forme, le 23 septembre 1930, en présence de certains délégués des autres continents. Sur proposition d’Henderson, Briand en est nommé président. Sir Eric Drummond est désigné comme secrétaire.

D’ici sa prochaine session (janvier 1931), le Secrétariat général de la SdN est chargé de préciser sa tâche et de recueillir tous les renseignements utiles pour les études à entreprendre ou à poursuivre, sur la base de la documentation existante.

Tous les membres du Secrétariat semblent désireux de la réduire à l’impuissance le nouvel organisme et lui définissent un programme minimum.

2e session du 16 au 21 janvier 1931 : elle décide la participation aux travaux de représentants d'États non-membres de la SDN, comme l'Islande, la Turquie et l'Union soviétique.

3e session (15-21 mai 1931) : elle discute de la question de la crise économique qui ne cessait de s'approfondir et sur les remèdes qu'il faudrait proposer pour la combattre. Les délégués allemand et autrichien proposent la création d'unions douanières régionales (projet d'union douanière austro-allemande). Briand leur oppose le "plan constructif français".

La Commission tint cinq sessions de 1930 à 1932, mais Aristide Briand, physiquement épuisé, ne parvint pas à s’engager aussi pleinement que nécessaire dans la vie de cette commission et elle cessa de se réunir dès 1932. Le rêve européen d’Aristide Briand avait vécu.