Le 17 mai 1930, la
France adressait aux 26 États européens membres de la
Société des Nations un « mémorandum sur l’organisation
d’un régime d’union fédérale européenne
». Ce texte, premier plan d’organisation du vieux continent
jamais proposé officiellement par un gouvernement européen,
était la traduction concrète de l’appel lancé
le 5 septembre précédent, à la tribune de la SDN
à Genève, par Aristide Briand, président du Conseil
et ministre des Affaires étrangères, en faveur de l’établissement
d’une « sorte de lien fédéral » entre
les peuples européens. L’idée ayant alors été
favorablement accueillie par les délégués européens,
Briand avait confié à son chef de cabinet, en même
temps directeur des Affaires politiques et commerciales du Quai d’Orsay,
le soin de rédiger un document précisant les points essentiels
sur lesquels devait porter son projet d’union européenne
: Alexis Léger, plus connu sous le nom de Saint-John-Perse,
s’acquitta de cette tâche au printemps 1930, non sans avoir
tenu compte des différents points de vue en présence au
sein du ministère.
Le mémorandum
français, texte relativement court, utilisait une terminologie
volontairement imprécise et contradictoire, parlant à
la fois de «fédération», d’«union»,
d’«association» ou encore de «communauté
européenne», tout en affirmant le plus strict respect de
la «souveraineté absolue et de l’entière indépendance
politique» des nations européennes. Il prévoyait
la signature d’un «pacte d’ordre général»
par lequel les États membres s’engageraient à tenir
des réunions périodiques ou extraordinaires « pour
examiner en commun toutes questions susceptibles d’intéresser
au premier chef la communauté des peuples européens ».
Le mécanisme institutionnel de cette « union européenne
», qui devait prendre place dans le cadre de la Société
des Nations, consisterait en une « conférence européenne
» composée des représentants de tous les gouvernements
européens membres de la SDN, un « comité politique
permanent » (exécutif européen) et un secrétariat.
Si les problèmes économiques se trouvaient explicitement
subordonnés aux problèmes politiques, le mémorandum
français envisageait néanmoins, de manière assez
prophétique, « l’établissement d’un
marché commun pour l’élévation au maximum
du niveau de bien-être humain sur l’ensemble des territoires
de la Communauté européenne », formulation qui n’est
pas sans rappeler celle utilisée, en 1957, par le traité
de Rome créant la Communauté économique européenne…
Cette initiative française, endossée par le très
populaire Aristide Briand, alors âgé de 68 ans et à
l’apogée de sa carrière de « pèlerin
de la paix », couronnée quatre ans plus tôt par le
prix Nobel de la paix, avait-elle quelque chance d’aboutir ? Elle
était certes portée par un puissant courant pro-européen
qui recueillait depuis la seconde moitié des années 1920
le soutien d’une partie notable des élites intellectuelles,
politiques et économiques. Dans l’esprit du ministre français
des Affaires étrangères, elle était aussi un moyen
de palier les insuffisances de la sécurité collective,
en s’efforçant notamment d’encadrer le révisionnisme
allemand dans une structure européenne.
Or Briand joua de malchance. Entre sa proposition de septembre 1929
et le mémorandum de mai 1930, le contexte international changea
radicalement : le ministre allemand des Affaires étrangères,
Gustav Stresemann, avec lequel il avait entamé depuis 1925 un
fragile rapprochement, mourut en octobre 1929, et on allait assister
avec ses successeurs à un durcissement de la politique allemande
à l’égard de la France. Quelques semaines plus tard,
c’était une violente crise boursière qui frappait
Wall Street et qui allait profondément modifier les rapports
économiques internationaux, entraînant un réflexe
général de repli national. Tout cela joua incontestablement
dans le positionnement plutôt négatif que les gouvernements
européens adoptèrent au sujet du projet français.
Les réponses des 26 gouvernements européens arrivées
au Quai d’Orsay à l’été 1930, tout
en reconnaissant la nécessité d’une coordination
européenne, avançaient une série d’objections,
relatives notamment au mécanisme institutionnel prévu
qui risquait de nuire à la SDN, ou à la subordination
de l’économique au politique. Pour sa part, l’Allemagne
voyait dans le projet le moyen pour la France de maintenir le statu
quo territorial et sa suprématie en Europe, et c’est pourquoi
elle envisagea dès lors « un enterrement de première
classe pour l’action de Briand ». Quant aux Britanniques,
ils donnaient à ce moment la priorité à leur empire
et s’inquiétaient des menaces que le projet français
faisait peser sur la Société des Nations, institution
au sein de laquelle ils occupaient un rôle prédominant.
Le plan français constitua néanmoins, en septembre 1930,
le sujet principal des séances plénières de l’Assemblée
de la SDN, qui décida finalement de créer une modeste
« Commission d'étude pour l'Union européenne »
chargée d’analyser les modalités de la coopération
européenne. La présidence en fut naturellement confiée
à Aristide Briand. La Commission tint cinq sessions de 1930 à
1932, abordant notamment les problèmes liés à la
crise, et invitant la Turquie et l’URSS, alors non membres de
la SDN, à se joindre à ses travaux. Mais Aristide Briand,
physiquement épuisé, ne parvint pas à s’engager
aussi pleinement que nécessaire dans la vie de cette commission
et elle cessa de se réunir dès 1932. Le rêve européen
d’Aristide Briand avait vécu.
Mais par cette première tentative d’unification européenne,
la France s’affirmait déjà comme le principal moteur
de la construction européenne, un rôle qu’elle allait
retrouver au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. D’ailleurs,
près de 20 ans jour pour jour après le mémorandum
Briand, le ministre des Affaires étrangères, Robert Schuman,
ne faisait-il pas explicitement allusion, lors de sa célèbre
déclaration du 9 mai 1950, à l’œuvre de son
lointain prédécesseur, en déclarant : « En
se faisant depuis plus de vingt ans le champion d’une Europe unie,
la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix »…
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Le 11 septembre 1929, quelques
jours après le discours prononcé à Genève
devant la Société des Nations - par lequel Aristide
Briand avait proposé la création entre les peuples européens
d'une "sorte de lien fédéral" - le magazine
VU fait sa couverture sur le ministre français des
Affaires étrangères avec ce photomontage et titre :
"Vers une Europe Nouvelle".
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