TD 10. L’idée européenne dans les années vingt



• Commentaire : Texte 27 – Heinrich Mann : « Notre foi, c’est l’Europe » (1923), p. 27.

NURDIN Jean, « Briandisme, paneuropéisme et entente franco-allemande chez Heinrich Mann », in BOCH Hans Manfred, MEYER-KALKUS Reinhardt, TREBITSCH Michel, Entre Locarno et Vichy les relations culturelles franco- allemandes dans les années 1930, Paris, CNRS Editions, 1993, 2 volumes, p. 149-160.

Au lendemain de la première guerre mondiale, la clé de la paix européenne semble passer par la réconciliation franco-allemande. L’ordre européen précaire de l’après-guerre place, en effet, «l’Europe continentale à nouveau sous le sceau de la rivalité franco-allemande» (Sylvain Schirmann), en raison de l’éloignement du monde anglo-américain des affaires du continent (non-ratification du traité de Versailles par les États-Unis, Grande-Bretagne souhaitant peser sur les affaires européenne mais sans être liée).

L’idée du rapprochement franco-allemand constitue donc l'un des moteurs de la conscience européenne. Certes, d’autres germes de conflits existent en Europe (notamment dans l’espace danubien et balkanique, entre les États victorieux et les États frustrés par les nouveaux découpages des frontières), mais chacun sent que les risques majeurs d’embrasement en Europe partiront d’une nouvelle guerre de revanche franco-allemande. Le rapprochement franco-allemand est donc au cœur de bien des projets et des initiatives en faveur de l’unité européenne.


Le débat autour de l’unité de l’Europe connaît ses années fastes entre 1924 et 1932 principalement, favorisé par la détente des relations internationales et le règne de « l’esprit de Genève ».

Il est porté par des organisations militantes qui se consacrent exclusivement à la promotion de l’idée européenne – c’est là une nouveauté de l’entre-deux-guerres – et qui attirent vers elles un grand nombre d’élites influentes, politiques, économiques, culturelles et religieuses. Qu’elles soient à finalités plus spécifiquement économiques – comme l’Union douanière européenne – ou intellectuelles – comme le Kulturbund (Fédération des Unions intellectuelles) –, ou qu’elles prétendent à des objectifs plus vastes, voire plus vagues – comme le Comité fédéral de coopération européenne –, ces associations privées essaiment dans toute l’Europe et tissent un réseau de comités nationaux relativement important : au début des années trente, l’UDE ou le CFCE disposent chacun d’une vingtaine de comités, plus ou moins actifs, implantés à travers toute l’Europe.

Un certain nombre de leurs rassemblements ont un fort écho médiatique : comme le premier congrès pan-européen tenu à Vienne en 1926 ou le grand congrès de l’Union douanière européenne à Paris en 1930. Malheureusement, ces mouvements se font souvent une concurrence tout à fait préjudiciable, voire sont entraînés dans des rivalités stériles qui peuvent desservir leurs efforts. Emile Borel de citer ainsi un humoriste qui disait « que la prochaine guerre européenne se produirait entre deux ou trois organisations destinées à établir la paix en Europe ».

Cette ferveur européiste fait émerger un certain nombre de leaders de la cause européenne qui consacrent une énergie considérable à la promotion de leur idéal : l’autrichien Coudenhove-Kalergi, le belge Irénée Van der Ghinst, le danois Christian Heerfordt, les français Gaston Riou ou Francis Delaisi, etc.

Le monde selon Coudenhove-Kalergi :

Malgré tout, l’idée européenne reste confinée à une élite, et ne parvient pas à toucher les masses. Les opinions restent dans l’ensemble plus sensibles au nationalisme qu’à l’idée de coopération européenne, même si l’européisme de certains s’accommode très bien au credo nationaliste (chacun pensant que son propre pays, par ses qualités nationales, est le plus qualifié pour mener à bien l’unification du continent).


 

• Leçon : Le plan Briand d’Union fédérale européenne et son échec.

En se prononçant à Genève, à la tribune de la SDN, le 5 septembre 1929, en faveur d’une « sorte de lien fédéral entre les peuples d’Europe », Aristide Briand place l’idée européenne au cœur du champ politique. Il rappelle d’ailleurs qu’il s’est lui-même « associé pendant ces dernières années à une propagande active en faveur d’une idée qu’on a bien voulu qualifier de généreuse, peut-être pour se dispenser de la qualifier d’imprudente ».

Un certain nombre de mouvements, notamment à dominante française, tels l’Union douanière européenne ou la Coopération européenne se sont d’ailleurs vantés d’avoir eu une grande influence sur les projets européens d’Aristide Briand. Il est vrai que le Quai d’Orsay suit de près les travaux de ces associations qu’il subventionne et dont les analyses trouvent un écho visible dans les projets diplomatiques français.

Mais au-delà de la référence à l’idéal européen qui lui sert surtout de relais auprès des opinions publiques, Briand a surtout présent à l’esprit les préoccupations du moment, notamment les blocages dans le domaine économique, les mesures proposées par la conférence économique internationale de Genève de 1927 n’ayant pas été vraiment entendues, notamment s’agissant de mettre fin à l’accroissement des tarifs douaniers et d’initier une diminution des mesures protectionnistes. Il dit ainsi dans son discours que « l’Association agira surtout dans le domaine économique : c’est la question la plus pressante ».

Mais Briand est aussi « obsédé par le problème de la sécurité de la France » (Jacques Bariéty) et s’inquiète de la montée des tensions autour des minorités nationales, de la solidité réelle de la république de Weimar, de la tentation du réarmement par l’Allemagne. Son projet est donc surtout politique : il s’agit de « compléter le système de garanties que Locarno avait laissé géographiquement incomplet, ce à quoi le pacte Briand-Kellogg n’avait par porté remède, et rassembler les conditions d’une concertation permanente entre Etats européens, qui aurait pu résorber les crises prévisibles quand elles adviendraient, voire préparer des accommodements « (postface de Jacques Bariéty, in Aristide Briand, la Société des Nations et l’Europe, p. 475).


Mais le mémorandum que le gouvernement français rédige au sujet d’une « union fédérale européenne » est accueilli avec réticence par les 26 gouvernements européens. Dans leurs réponses, beaucoup attaquent la future organisation sur différents points : on lui reproche de faire double emploi avec la SDN et donc de lui nuire, on critique sa structure trop lourde, on conteste la priorité du politique sur l’économique, on pose le problème des colonies et des États non membres de la SDN (Russie-Turquie). Malgré la création au sein de la SDN d’une Commission d’étude pour l’Union européenne (septembre 1930), mais qui est vite paralysée, le projet de Briand a donc échoué.

Voir des documents relatifs au projet Briand d'Union européenne.

A lire :

- BARIETY Jacques, « Le projet d’union européenne d’Aristide Briand », in BERENGER Jean et SOUTOU Georges-Henri (dir.), L’Ordre européen du 16e au 20e siècle, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1998, p. 137-149.

- FLEURY Antoine, « Le Plan Briand d’Union fédérale européenne. Les dimensions diplomatiques, 1929-1932, in BARIETY Jacques (dir.), Aristide Briand, la Société des Nations et l’Europe 1919-1932, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2007, p. 339-354. Etudie le contexte de l’initiative Briand, les réponses des gouvernements européens au Mémorandum français, et la création de la Commission pour l’étude de l’Union européenne par la SDN.

- FLEURY Antoine, JILEK Lubor, Le Plan d’Union fédérale européenne. Perspectives nationales et transnationales avec documents - Actes du colloque de Genève, septembre 1991, Berne, Peter Lang, 1998, 610 p.

- FLEURY Antoine, « Une évaluation des travaux de la Commission d’étude pour l’Union européenne 1930-1937 », in Schirmann Sylvain (dir.), Organisations internationales et architectures européennes (1929-1939), Metz, Centre de recherche « histoire et civilisation de l'Europe occidentale », 2003, p. 35-54.