Aristide Briand et la paix


 

On a fait de Briand un rêveur de paix, lui l’homme de la loi des trois ans (1913), le chef politique de la France en guerre (1915-1917) au moment de la bataille de Verdun, le président du Conseil qui menaça en 1921 « d’abattre une main ferme sur le collet de l’Allemagne » si elle ne payait pas ses réparations. « Sécurité d’abord fut sa maxime. Il ne s’en est pas écarté », dira André Tardieu à l’occasion de ses funérailles.

Pour autant le nom de Briand n’est pas injustement rattaché à la paix, comme en témoigne le prix Nobel qui lui fut décerné en 1926 – ainsi qu’à son homologue allemand Stresemann – et qui contribua davantage encore à forger son image de « pèlerin de la paix », à laquelle il n’était d’ailleurs pas étranger : « Tant que je serai où je suis, il n’y aura pas de guerre », aimait-il à répéter.

Écarté des négociations de la paix par Clemenceau, Briand considérait que le traité de Versailles était assez mal rédigé, mais il en avait néanmoins voté la ratification et l’avait appliqué à son retour aux affaires en 1921. Conscient cependant que rien n’empêcherait la renaissance de l’Allemagne, il s’engagea bientôt dans la voie d’un assouplissement de la politique de « Versailles », préférant ainsi éviter l’isolement français et donner la priorité à l’alliance anglaise. Cette politique ne fut pas comprise par la majorité du Bloc National et Briand préféra démissionner le 12 janvier 1922.

Avec son installation durable au Quai d’Orsay, de 1925 à 1932, Briand marqua considérablement la politique étrangère de la France. Son premier acte politique fort fut la signature, en octobre 1925, des accords de Locarno par lesquels l’Allemagne reconnaissait ses frontières occidentales avec la garantie de la Grande-Bretagne et de l’Italie. Il était bien conscient des insuffisances de ces accords qui ne disaient rien sur les frontières orientales de l’Allemagne, mais il comptait vraisemblablement sur « l’esprit de Locarno » pour combler progressivement ces lacunes dans la sécurité européenne.

Briand mena alors une politique ouvertement axée sur le rapprochement franco-allemand, avec pour objectif de tisser un réseau de liens et d’engagements autour de l’Allemagne destiné à limiter ses possibilités d’actions révisionnistes. Cette politique qui se traduisit par l’entrée de l’Allemagne à la SDN, en septembre 1926, donna au ministre français l’occasion de prononcer son plus célèbre discours :

[...] Ah! messieurs, les ironistes, les détracteurs de la Société des nations, ceux qui se plaisent journellement à mettre en doute sa solidité et qui périodiquement annoncent sa disparition, que pensent-ils s'ils assistent à cette séance ? N'est-ce pas un spectacle émouvant, particulièrement édifiant et réconfortant, que, quelques années à peine après la plus effroyable guerre qui ait jamais bouleversé le monde, alors que les champs de bataille sont encore presque humides de sang, les peuples, les mêmes peuples qui se sont heurtés si rudement se rencontrent dans cette assemblée pacifique et s'affirment mutuellement leur volonté commune de collaborer à l’oeuvre de la paix universelle. [...]
Messieurs, la paix, pour l'Allemagne et pour la France, cela veut dire : c'est fini de la série des rencontres douloureuses et sanglantes dont toutes les pages de l'Histoire sont tachées; c'en est fini de longs voiles de deuil sur des souffrances qui ne s'apaiseront jamais; plus de guerre, plus de solutions brutales et sanglantes à nos différends ! Certes, ils n'ont pas disparu, mais, désormais, c'est le juge qui dira le droit. Comme les individus, qui s'en vont régler leurs difficultés devant le magistrat, nous aussi nous réglerons les nôtres par des procédures pacifiques. Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la paix!
Un pays ne se grandit pas seulement devant l'Histoire par l'héroïsme de ses enfants sur les champs de bataille et par les succès qu'ils y remportent. […]

Pourtant, les perspectives ne tardèrent pas à s’assombrir : Briand avait pu observer dès 1928 à la SDN la montée du révisionnisme allemand au sujet des minorités germanophones de Pologne ; de plus, il n’avait pas réussi à ramener les États-Unis aux côtés de la France dans les affaires de sécurité européenne, n’obtenant d’eux qu’un pacte général de renonciation à la guerre, le fameux « Pacte Briand-Kellogg » signé à Paris le 27 août 1928 par 57 nations.

Enfin lors de la conférence de La Haye, en août 1929, Briand avait été contraint d’accepter, du fait de l’insistance des Alliés, l’évacuation anticipée de la Rhénanie, c’est-à-dire d’abandonner le principal moyen que la France avait encore en sa possession pour maintenir sa pression sur l’Allemagne.

Devant l’Assemblée de la SDN, le 5 septembre 1929, Briand tenta alors une ultime manœuvre pour encadrer le danger allemand, en proposant d’instituer « une sorte de lien fédéral » entre les 27 Etats européens membres l’organisation genevoise :

  [...] Ici, avec quelque préoccupation, je pourrais dire avec quelque inquiétude, qui fait naître en moi une timidité dont vous voudrez bien m’excuser, j’aborde un autre problème. Je me suis associé pendant ces dernières années à une propagande active en faveur d’une idée qu’on a bien voulu qualifier de généreuse, peut-être pour se dispenser de la qualifier d’imprudente. Cette idée, qui est née il y a bien des années, qui a hanté l’imagination des philosophes et des poètes, qui leur a valu ce qu’on peut appeler des succès d’estime, cette idée a progressé dans les esprits par sa valeur propre. Elle a fini par apparaître comme répondant à une nécessité. Des propagandistes se sont réunis pour la répandre, la faire entrer plus avant dans l’esprit des nations, et j’avoue que je me suis trouvé parmi ces propagandistes.
Je n’ai pas été cependant sans voir les difficultés d’une pareille entreprise, ni sans percevoir l’inconvénient qu’il peut y avoir pour un homme d’État à se lancer dans ce qu’on appellerait volontiers une pareille aventure. Mais je pense que, dans tous les actes de l’homme, voire les plus importants et les plus sages, il y a toujours quelque grain de folie ou de témérité. Alors, je me suis donné d’avance l’absolution et j’ai fait un pas en avant. Je l’ai fait avec prudence. Je me rends compte que l’improvisation serait redoutable et je ne me dissimule pas que le problème est peut-être un peu en dehors du programme de la Société des Nations; il s’y rattache cependant car depuis le Pacte, la Société n’a jamais cessé de préconiser le rapprochement des peuples et les unions régionales, même les plus étendues.
Je pense qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral. Ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter de leurs intérêts communs, de prendre des résolutions communes. Ils doivent, en un mot, établir entre eux un lien de solidarité qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves si elles venaient à naître.
C’est ce lien, messieurs, que je voudrais m’efforcer de créer.
Évidemment, l’association agira surtout dans le domaine économique : c’est la nécessité la plus pressante. Je crois qu’on peut en ce domaine, obtenir des succès. Mais je suis sûr aussi qu’au point de vue politique ou au point de vue social, le lien fédéral, sans toucher à la souveraineté d’aucune des nations qui pourraient faire partie d’une telle association, peut être bienfaisant. Et je me propose, pendant la durée de cette session, de prier ceux de mes collègues qui représentent ici les nations européennes de vouloir bien, officieusement, envisager cette suggestion et la proposer à l’étude de leurs gouvernements, pour dégager plus tard, pendant la prochaine assemblée peut-être, les possibilités de réalisation que je crois discerner.

 

Le mémorandum français de mai 1930 sur un régime d'union fédérale européenne précisa les intentions du Quai d’Orsay : au-delà d’une nécessaire coopération politique et économique, la France cherchait surtout à combler les lacunes du système européen de sécurité, à étendre progressivement « à toute la communauté européenne la politique de garanties internationales inaugurée à Locarno, jusqu’à intégration des accords ou séries d'accords particuliers dans un système plus général ».

La diplomatie allemande ne s’y trompa point et entendit réserver un « enterrement de première classe » au projet français. La plupart des réactions européennes furent d’ailleurs plus ou moins ouvertement hostiles et une modeste Commission d’étude pour l’union européenne, créée au sein de la SDN, en fut le seul résultat concret. Elle n’allait d’ailleurs guère survivre à la mort d’Aristide Briand le 7 mars 1932.