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"Ce jour marque une date nouvelle dans l'histoire de l'humanité!"Discours prononcé par Aristide Briand le 27 août 1928 à l'occasion de la signature au Quai d'Orsay du Pacte général de renonciation la guerre comme instrument de la politique nationale ou "pacte Briand-Kellogg"
"Messieurs,
J'ai pleinement conscience qu'une solennité comme celle-ci emprunterait au silence plus d'autorité. J'aimerais, sans plus de mots, laisser chacun de vous se lever simplement au nom de son pays pour apporter sa signature au plus grand acte collectif qui soit né de la paix. Mais ce serait mal m'acquitter envers mon pays que de ne pas vous dire combien il ressent l'honneur d'accueillir les premiers signataires du Pacte général de renonciation à la guerre.
Si l'on a voulu reconnaître, comme titre à cet honneur, la situation morale que crée à la France son persistant effort au service de la Paix, j'accepte un tel hommage au nom du Gouvernement de la République française et j'exprime la satisfaction de tout un peuple, heureux de se sentir enfin compris au plus profond de sa psychologie nationale.
En vous souhaitant, la bienvenue, Messieurs, laissez-moi me féliciter dé voir réunis ici, à l'exception de ceux, que des raisons de santé ou les obligations de leurs charges retenaient impérieusement, tous les hommes d'Etat qui, en qualité de Ministres des Affaires étrangères, ont eu à prendre part personnellement à la conception, à la préparation ou à l'élaboration du nouveau Pacte.
Nous devons dés remerciements : tout particuliers à ceux, qui se sont imposé les fatigues d'un long voyagé pour participer à cette manifestation.
Je ne doute pas, Messieurs, que vous ne soyez tous prêts à vous joindre à moi, dans un même élan de gratitude envers celui de nos collègues qui n'a pas hésité à venir nous apporter ici, avec toute l'autorité morale de son nom et du grand pays qu'il représente, l'affirmation de sa foi dans la portée de l'acte que nous allons signer. Assis aujourd'hui parmi nous, dans cette même salle où son illustre devancier, le Président Wilson, associait déjà aux travaux de la Paix une si haute conscience du rôle de son pays, l'honorable M. Kellogg peut mesurer avec une juste fierté tout le chemin parcouru, en si peu de temps, depuis l'époque où nous examinions, tous deux, les possibilités de réalisation de cette vaste entreprise diplomatique. Nul n'était mieux qualifié pour prendre dans la négo ciation, aujourd'hui, menée à bonne fin, la part prépondérante qui lui revient et qui lui fera toujours honneur dans la mémoire des hommes. Son optimisme et sa ténacité ont eu raison du scepticisme humain ; sa loyauté et sa bonne foi, la bonne volonté qu'il a mise à dissiper par des explications claires et nettes de légitimes préoccupations, lui ont valu la confiance de tous ses partenaires ; sa clair voyance, enfin, lui a montré ce que l'on peut attendre des gouvernements guidés par une aspiration profonde des peuples.
Quelle leçon plus haute peut être offerte au monde civilisé que ce spectacle d'une réunion où, pour la signature d'un Pacte contre la guerre, l'Allemagne, de son plein gré, et de plain pied, prend place entre tous autres signataires, ses anciens adversaires ? Illustration encore plus frappante quand l'occasion se trouve ainsi donnée au Représentant de la France, recevant pour la première fois depuis plus d'un demi-siècle un Ministre des Affaires étrangères d'Allemagne sur le sol de France, de lui faire le même accueil qu'à tous ses collègues étrangers. J'ajoute, Messieurs, lorsque ce représentant de l'Allemagne s'appelle M. Stresemann, que l'on peut me croire particulièrement heureux de rendre hommage à la distinction d'esprit, au courage de l'éminent homme d'Etat qui, pendant plus de trois ans, n'a pas hésité à engager toute sa responsabilité dans l'oeuvre de coopération européenne pour le maintien.de la paix. Messieurs, puisque je me suis laissé aller à prononcer des noms, vous né m'en voudrez pas, et Lord Cushendan me saura certainement gré, d'évoquer personnellement parmi nous la pensée fraternelle de Sir Austen Chamberlain, à qui vont tous nos voeux de prompt et complet rétablissement. Quand je pense à l'inlassable dévouement que la cause de la paix a toujours suscité dans cette âme si noble, je ne puis m'empêcher d'imaginer la joie qu'un ennemi si déterminé de la guerre eût éprouvée au spectacle d'une telle réu- nion. Pour nous, nous ne saurions distraire sa présence, invisible ou réelle, d'aucune manifestation de la paix.
source de la photographie : BNF - Gallica
Je ne crois, Messieurs, dépasser la pensée d'aucun de vous en affirmant que l'événement de ce jour marque une date nouvelle dans l'histoire de l'humanité.
Pour la première fois, sur un plan général, accessible à toutes les Nations du monde, un Congrès de la Paix fait autre chose que de régler politiquement les conditions immédiates d'une paix particulière telles qu'elles résultent, en fait, des décisions de la guerre. Pour la première, fois, sur un plan général et absolu, un traité véritablement consacré à l'institution même de la Paix, inaugurant un droit nouveau, dégagé de toutes contingences politiques, pose des prémisses au lieu de conclusions.
Il ne s'agit plus ici d'une liquidation de guerre. Le Pacte de Paris, né de la paix, et s'inspirant d'une libre conception juridique, peut et doit être un véritable traité de concorde. C'est pourquoi, sans doute, M. Kellogg, lorsqu'il a tenu à réserver au Gouvernement français le privilège de vous recevoir, a eu la délicatesse d'indiquer à l'Ambassadeur de France que le voisinage de la « Place de la Concorde » lui paraissait tout désigné pour la signature du Pacte.
Les accords de Locarno, après le plan Dawes, avaient déjà témoigné de cet esprit nouveau qui trouve aujourd'hui sa pleine expression, car, ainsi que je le rappelais dans un message du 6 avril 1927 au peuple américain, c'était bien une conception familière aux signataires de ces accords que la renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale.
Mais ces accords particuliers, destinés à garantir politiquement la paix dans une partie déterminée du monde européen, ne pouvaient, par définition, prétendre au caractère d'Universalité qui fait l'intérêt du Pacte général contre la guerre.
La Société des Nations, tout imprégnée du même esprit, avait aussi promulgué une formule tendant en fait au même résultat final que le nouveau Pacte. Mais, outre qu'elle ne comprenait pas la participation, des Etats-Unis, sa conception et ses méthodes ne pouvaient être les mêmes que celles, auxquelles il nous a été possible de recourir pour un acte aussi général et aussi absolu que le nouveau Pacte.
La Société, des Nations, vaste entreprise politique d'assurance contre la guerre, puissante institution de paix organisée, cadre naturellement ouvert à tous apports nouveaux, ne peut que se réjouir, de la signature d'un acte international dont elle bénéficie, puisque loin d'être incompatible en rien avec aucune de ses obligations, ce nouvel acte lui réserve, au contraire, une sorte de réassurance générale. Aussi ceux de ses membres qui pourront bientôt soumettre à son enregistrement l'engagement qu'ils contractent aujourd'hui auront conscience de lui apporter un gage précieux de leur attachement et de leur fidélité.
Quelle est donc, en définitive, la conception nouvelle qui constitue la caractéristique essentielle du Pacte contre la guerre ?
Pour la première fois, à la face du monde, dans, un acte solennel engageant l'honneur de grandes Nations, ayant toutes derrière elles un lourd passé de luttes politiques, la guerre est répudiée sans réserves en tant qu'instrument de politique nationale, c'est-à-dire dans sa forme la plus spécifique et la plus redoutable: la guerre égoïste, et volontaire. Considérée jadis comme de droit divin et demeurée dans l'éthique internationale comme une prérogative de la souveraineté, une pareille guerre est enfin destituée juridiquement de ce qui constituait son plus grave danger : sa légitimité. Frappée désormais d'illégalité, elle est soumise au régime conventionnel d'une véritable mise hors la loi, qui expose le délinquant au désaveu certain, à l'inimitié probable, de tous ses co-contractants. C'est l'institution même de la guerre qui se trouve ainsi attaquée; directement, dans son essence propre. Il ne s'agit plus seulement d'organisation défensive, contre le fléau, mais d'une attaque du mal à sa racine même.
Ainsi la légitimité du recours à la guerre, comme moyen d'action arbitraire et égoïste, cessera de faire peser sa menace latente sur la vie économique, politique et sociale des peuples et de rendre illusoire, pour les petites Nations, toute indépendance réelle dans les discussions internationales. Libérés d'une telle servitude, les peuples signataires du nouveau contrat s'accoutumeront peu à peu à né plus associer la notion de prestige national, d'intérêt national, avec celle de la force. Et ce seul fait psychologique ne constituera pas le moindre gain dans l'évolution nécessaire à une stabilisation réelle de la paix.
Ce pacte n'est pas réaliste ? Il y manque des sanctions ? Mais, est-ce bien du réalisme, celui qui consiste à exclure du domaine des faits les forces morales, dont celle de l'opinion publique ? En fait, l'Etat qui affronterait la réprobation de tous ses co-contractants s'exposerait au risque positif de voir se former, peu à peu, et librement, contre lui une sorte de solidarité générale, dont il ne tarderait pas à sentir les redoutables effets. Et quel est le pays, signataire du Pacte, que ses- dirigeants prendraient la responsabilité d'exposer à un tel danger ? La loi moderne d'interdépendance des Nations impose à tout homme d'Etat de prendre à son compte cette parole mémorable du Président Coolidge : « Une action de guerre, en tout lieu du monde, est une action qui porte préjudice aux intérêts de mon pays ».
C'est vous dire, Messieurs, toute l'importance qui s'attache à l'extension de ce vaste circuit de solidarité morale ayant pour fin idéale l’universalité du Pacte.
Lorsque j'ai eu l'honneur, le 20 juin 1927, de proposer à l'honorable M. Kellogg la formule qu'il a bien voulu adopter et promouvoir. dans un projet dé pacte multilatéral, je n'ai jamais eu en vue, un
seul instant, que l'engagement suggéré dût rester seulement entre la France et les Etats-Unis. J'ai toujours pensé que, sous une forme ou une autre, par prolifération ou par extension, l'engagement
proposé porterait en lui-même une force d'expansion suffisante pour atteindre rapidement toutes les nations dont l'association morale était indispensable. Aussi me suis-je félicité de voir M. Kellogg, dès le début de l'active négociation qu'il devait conduire avec tant de clairvoyance et de
persévérance, assigner au nouveau Pacte, dont il préconisait l'extension, le caractère général d'universalité qui répondait pleinement aux voeux de la France.Cette universalité, que réalise déjà la conception du Pacte, on peut dire que, dans l'application aussi, elle existe virtuellement. Car les dispositions manifestées par de nombreux Gouvernements nous autorisent, dès maintenant, à considérer comme beaucoup plus large qu'elle n'apparaît ici la communauté spirituelle des Etats, représentés, moralement, à cette première signature. Et, il faut que tous ceux-là dont les délégués n'ont pu prendre rang aujourd'hui parmi nous, sentent bien, à
cette heure de complète union, notre unanime regret des nécessités purement pratiques qui limitaient une procédure destinée à assurer et à hâter, au bénéfice de tous, le succès de la grande oeuvre entreprise. Ainsi s'élargit, dans notre pensée, l'assemblée solennelle des premiers signa-
taires du Pacte général de renonciation à la guerre, et par delà les murs de cette salle, par delà toutes frontières, maritimes ou terrestres, cette vaste communion humaine se fait assez sensible pour que nous ayons, sincèrement, le droit de nous compter plus de quatorzeà cette table.
Aussi bien avez-vous pu remarquer que, sur l'édifice qui nous abrite, le Gouvernement de la République a tenu, à faire flotter aujourd'hui les pavillons de toutes les Nations.Messieurs, dans un instant, le télégraphe annoncera au monde l'éveil d'une grande espérance. Ce sera pour nous un devoir sacré de faire désormais tout ce qui sera possible et nécessaire pour que cette espérance ne soit pas déçue. La Paix proclamée, c'est bien, c'est beaucoup. Mais il faudra l'organiser. Aux solutions de force, il faudra substituer des solutions juridiques. C'est l'oeuvre de demain.
A cette heure mémorable, la conscience des peuples, épurée de tout égoïsme national, s'efforce sincèrement vers des régions sereines où la fraternité humaine puisse s'exprimer dans le battement d'un même coeur. Cherchons une commune pensée où recueillir notre ferveur et notre abnégation. Il n'est pas une des nations ici représentées qui n'ait versé son sang sur les champs de bataille de la dernière guerre : je vous propose de dédier aux morts, à tous les morts de la grande guerre, l’événement que nous allons consacrer de notre signature".Discours prononcé par M. Aristide Briand le 27 août 1928, reproduit dans Ministère des Affaires étrangères, Pacte général de renonciation la guerre comme instrument de la politique nationale. Trente pièces relatives à la préparation, à l’élaboration et à la conclusion du Traité signé à Paris le 27 août 1928, Paris, Imprimerie des journaux officiels, 1928, p. 56-59