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"La paix ! C'est une entreprise difficile !"

Discours prononcé lors du déjeuner annuel de l'Association internationale des journalistes accrédités auprès de la Société des Nations, 16 septembre 1930.


"[...] L'Humanité applaudit aux recherches patientes d'un Pasteur qui, dans le silence du laboratoire, découvre le microbe de la rage, sauvegardant ainsi des millions de vies humaines. Et pourtant, lorsque des hommes d'Etat veulent se réunir pour anéantir un microbe infiniment plus néfaste, celui de la guerre, ils s'exposent encore aux sarcasmes, ils rencontrent des diffcultés sans nombre.

C'est une chose singulière qu'âpres avoir vécu les horreurs de la dernière tuerie, il faille encore chercher, à faire comprendre aux hommes que cela doit prendre fin, que la guerre est une chose stupide et barbare! N'est-il pas monstrueux de songer aux ravages de la guerre et de penser aussi qu'il se trouve toujours des gens qui, poussés par des mobiles divers, tentent d'entraver l'œuvre de paix ? Les uns le font parce qu'ils ont des vues étroites, d'autres par excès de patriotisme, d'autres, enfin, pour des intérêts particuliers.

La paix ! C'est une entreprise difficile ! La paix n'a pas besoin de cœurs défaillants, ni de volontés chancelantes : elle est une œuvre rude à poursuivre, et cette œuvre, il lui faut non pas beaucoup d'hommes pour la servir, mais des cœurs tenaces, des hommes que les critiques n'empêchent pas d'accomplir leur tâche. Ceux qui travaillent pour la paix doivent se dire qu'ils seront, demain, critiqués, attaqués vilipendés. Il leur faut une forte dose de persévérance. Si l'un d'eux tombe, aujourd'hui, il doit se relever ; il ne doit pointse résigner. Il lui faut, le lendemain, sous de nouvelles critiques, reprendre patiemment la bonne tâche.

Je vois, dit M. Briand en s'adressant aux journalistes, que l'on nous a représentés sur ce menu, sous la forme d'abeilles évoluant autour d'une ruche. Vous étes des abeilles, vous aussi. Abeilles de tous les pays, prenez soin de ne jamais vous poser que sur des fleurs bienfaisantes. Allez et rapportez-nous, vigilantes abeilles, le suc de la vie, afin que nous en tirions, pour le bien de tous, le bon miel de la paix".

Le discours de M. Aristide Briand a causé la plus grande impression. S'abandonnant librement à son tempérament, l'orateur a prononcé, de l'avis de tous, un des meilleurs de ses discours de Genève. L'ovation extraordinaire qui a marqué la fin de cette improvisation a montré que le prestige de M. Briand n'a jamais été à Genève aussi grand qu'aujourd'hui.

Le Temps, 18 septembre 1930, p. 1-2.

Source de l'illustration : dessin de Derso et Kelen publié dans Le Petit Parisien, 17 septembre 1926, p. 1 (voir le document original sur Gallica)