Ce
projet de recherche autour de l’Europe et de la paix aux
XVIIIe-XXIe siècles s’inscrit dans le cadre des travaux
de l’axe 1 de l’UMR 8131 « IRICE » (Identités,
Relations Internationales et Civilisations de l’Europe –
Universités de Paris-I et de Paris-IV/CNRS).
Lancé à la fin de 2011, à la suite d’un
appel à contributions largement diffusé, le réseau
« Europax » rassemble de jeunes chercheurs et des universitaires
confirmés autour d’un projet fédérateur
qui a pour objet l’unité européenne pensée,
fantasmée et réalisée, comme moteur de la paix
intérieure et internationale. Cette hypothèse de départ
ne suppose pas d’arriver nécessairement à une
conclusion positive. La conclusion viendra de l’examen rigoureux
des faits selon les méthodes de l’histoire à
la suite d’une confrontation avec des archives, écrites
ou orales.
Le
projet vise donc à questionner voire à déconstruire
la célèbre formule « L’Europe c’est
la paix » selon une approche qui peut se décliner
sous différentes facettes. Il cherche à envisager
les mots « Europe » et « paix » dans leurs
acceptions les plus variables et sur une période bien plus
vaste allant des projets de paix perpétuelle du XVIIIe siècle
aux enjeux actuels de la construction européenne.
Le
projet Europax ambitionne également d’interroger l’originalité
et les spécificités des modèles de pacification
imaginés et mise en place par les Européens. Dans
une approche résolument globale du concept de paix, cette
recherche vise à proposer un concept intégrateur qui
puisse attirer les historiens travaillant sur des objets fort différents
(histoire économique, histoire politique, histoire des institutions,
histoire des idées, etc.), ainsi que des civilisationnistes,
politistes, juristes ou philosophes intéressés par
cette thématique.
Une première
journée d’études a été tenue
à l’Université de Paris-1 le
13 janvier 2012, à laquelle a contribué une dizaine
de chercheurs français et étrangers a démontré
la pertinence de cette approche et des pistes de recherche prometteuses
se sont dégagées des exposés et de la discussion
générale.
Dans
une logique de développement du projet, une demande de financement
a été formulée en janvier dernier auprès
de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et un séminaire
à destination des étudiants de Master et Doctorat
ainsi qu’aux chercheurs intéressés a été
mis sur pied (en collaboration avec le Professeur Éric Bussière,
Université de Paris-IV) pour le second semestre 2011-2012.
Il sera reconduit en 2012-2013.
Les contributions de la journée d’études et
du séminaire fournissentla matière d’un numéro
spécial de la revue Matériaux (éditée
par l’Association des Amis de la BDIC – Nanterre) qui
paraîtra au premier semestre 2013.
L’ambition du réseau « Europax » est d’organiser
ses recherches autour de trois groupes de travail :
- le
premier sur « prospective et imaginaire de la paix par
l’unité européenne depuis le XVIIIe siècle
»,
- le
second sur « l’Europe comme laboratoire et champ
d’expérimentation de la paix par la coopération
et l’unité »,
- le
troisième sur « l’Europe unie, modèle
de pacification et artisan de la paix dans le monde ».
Cette
division thématique ne doit pas être trop rigide, chaque
chercheur pouvant participer à plusieurs axes en fonction
de ses compétences.
En
engageant ce programme de recherche ses promoteurs s’appuient
évidemment sur les recherches antérieures qui ont
été à l’Institut Pierre Renouvin (Université
de Paris-1) puis à l’UMR « IRICE ». Mentionnons
pour mémoire le programme international « Identité
et conscience européennes au XXe siècle » ,
les colloques organisés par le groupe de liaison des historiens
auprès de la Commission européenne, dont celui tenu
à Rome en 2007 à l’occasion du cinquantième
anniversaire de la naissance du Marché commun , le programme
du réseau international « Espace et temps de l’Europe
», devenu GDRE, ainsi que les nombreux travaux de l’axe
de recherche consacré à l’histoire de l’unité
européenne au sein de l’UMR « IRICE » depuis
sa création en 2002.
Mais
à considérer l’abondante littérature
scientifique issue de tous ces travaux scientifiques, notamment
les nombreuses publications parues en vue du colloque de Rome (2007)
, on est frappé par le fait qu’aucun des titres publiés
n’annonce clairement un objet relatif à la question
de la paix par l’unité européenne. On peut évidemment
se dire que tout ce qui touche à la réconciliation
franco-allemande est pertinent, mais l’interrogation fondamentale
de tous ces travaux porte sur le succès des Communautés
et sur leur pérennité.
En
outre, en privilégiant pendant trop longtemps la période
de l’après-1945, celle des premières réalisations
en faveur de l’unité européenne, les historiens
de la construction européenne ont été naturellement
enclins à négliger l’importance de l’idéal
pacifique dans les projets européens – alors que celui-ci
avait occupé une place centrale dans les décennies
antérieures. C’est pourquoi le projet « Europax
» propose à dessein de porter son attention sur le
long terme, des plans de paix perpétuelle du XVIIIe siècle
à l’Union européenne actuelle.
Plus généralement, il faut bien avouer que la recherche
historique française ne s’est que très médiocrement
intéressée aux questions de la paix, et il n’existe
pas de “peace studies” ou de “Friedensforschung”
comme dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne, même s’il
est vrai que ces recherches ne sont pas toujours exemptes d’un
certain esprit militant. Or, l’historiographie française
commence depuis plus d’une décennie à normaliser
l’objet paix en lui appliquant des questionnements qui relèvent
d’une analyse plus classique des sciences sociales, notamment
chez les historiens médiévistes et modernistes . Si
un tel mouvement est encore assez discret chez les historiens de
l’Europe contemporaine, le projet “Europax” entend
indubitablement contribuer à ce renouveau des réflexions
sur la paix.
Quels sont les champs de recherche à développer ?
D’abord des champs neufs par rapport aux recherches précédemment
citées. Ensuite une réinterprétation de l’historiographie
antérieure.
Les champs neufs relèvent directement de la paix et de la
guerre. Comment
les Européens ont-ils pensé et fait la paix depuis
le XVIIIe siècle ? Dans ces alternatives théoriques
ou concrètes à l’état de guerre, quelle
place existait-elle pour la construction de l’unité
européenne ? En
quoi l’Europe peut-elle être considérée
comme un laboratoire et un champ d’expérimentation
de la paix par la coopération et l’unité ? La
pacification des relations inter-européennes devra être
appréhendée sur tous les plans (pacification politique,
désarmement économique ou rapprochement intellectuel
et moral). Il s’agit donc d’interroger l’originalité
et les spécificités des modèles de pacification
imaginés et mise en place par les Européens au cours
des trois derniers siècles.
Le
concept de paix par l’unité européenne sera
ainsi totalement exploré pour en vérifier la richesse
et les limites, dans une perspective de comparaison entre les constructions
européennes proprement dites (Conseil de l’Europe,
CECA, CEE, etc.) et les autres formes de pacification internationale
(SDN, ONU, GATT, OTAN, etc.). L’internationalisme, comme solution
aux guerres, n’a pas eu le succès que ses promoteurs
en attendaient et pourtant, à travers la SDN et l’ONU
et avec le développement de nombreuses autres formes de coopération
internationale, il lie les États et apporte des solutions,
imparfaites, aux conflits. Le
projet d’unité européenne renforce-t-il ce phénomène
d’internationalisation ou est-il original au point de ne pouvoir
s’y comparer ? Les concepteurs de l’internationalisme
conçoivent-ils leur projet en relation avec l’unité
européenne ?
L’existence
de l’Union européenne, d’un espace de décision
commun à 27 États ou plus, suscite des interrogations
dans le reste du monde. Cette Union européenne est-elle en
train de créer des normes de comportements internationaux
? On voit bien que Chine, Russie, Iran n’entrent guère
dans les schémas européens.
Pourtant
la question est de savoir si l’Europe unie peut créer
la paix et si c’est un objectif de l’Union. Comment
tient-elle compte des résolutions du Conseil de Sécurité
et des déclarations de l’Assemblée générale
de l’ONU ?
La réinterprétation des recherches antérieures
à la lumière du concept de paix européenne
suppose de réviser des conclusions anciennes. Les thèses,
ouvrages et articles sur la construction européenne ont souvent
présenté le processus d’unité comme la
manifestation d’une conscience nouvelle des chefs d’État
et de gouvernements, des chefs d’entreprise ou des intellectuels,
ou des opinions publiques. La raison l’emporterait désormais
au moins en Europe. Plus rien ne justifierait de la guerre, que
ce soit pour des raisons idéologiques, ethniques, territoriales,
économiques, culturelles. La paix perpétuelle aurait
donc été établie depuis le 9 mai 1950 à
la suite d’une prise de conscience de la vanité des
affrontements antérieurs.
Déconstruire
cette idée ne veut pas dire la réduire à néant
et ignorer les raisons d’agir des pionniers de l’unité.
Des termes peuvent être introduits dans la réflexion.
Jean Monnet utilisait celui de « nécessité ».
On peut parler aussi de « l’intérêt »
des peuples et des Etats à faire l’unité. La
recherche de « la prospérité économique
» n’est-il pas depuis le développement du capitalisme
une raison fondamentale de la quête d’unité ?
La réconciliation, terme utilisé très largement
pour qualifier les rapports franco-allemands, a des limites pour
rendre compte du phénomène qui en effet s’est
produit. En fait la noblesse du projet d’unité ne relève-t-il
pas aussi d’une lecture partielle de la réalité
infiniment plus complexe ? Le terme de « conflit » doit
être utilisé pour rendre compte de l’état
de l’Union. Les historiens et les sociologues ne peuvent fermer
les yeux sur les tensions qui perdurent dans l’espace européen,
comme les affrontements dans les Balkans l’ont illustré.
Dans quelle mesure les racines de ces tensions ont-elles été
détruites par la création de l’Union européenne
?
Ce
qui amène à d’autres questions sur les meilleurs
moyens de développer à l’intérieur de
l’Union l’harmonie politique afin de rendre l’espace
européen plus prospère et le plus stable possible
ou encore sur l’euroscepticisme, une réalité
tout au long du XXe siècle.