Projet de recherches
EUROPAX

L'Europe et la paix
XVIIIe - XXIe siècle

 

Coordinateurs du projet

Gérard Bossuat
Prof. émérite de l’université de Cergy-Pontoise
Chaire Jean Monnet ad personam
UMR IRICE (Paris-1, Paris-4, CNRS)

Jean-Michel Guieu
Maître de conférences en histoire contemporaine
à l’Université de Paris-1.
UMR IRICE.

 

 

 
 

Ce projet de recherche autour de l’Europe et de la paix aux XVIIIe-XXIe siècles s’inscrit dans le cadre des travaux de l’axe 1 de l’UMR 8131 « IRICE » (Identités, Relations Internationales et Civilisations de l’Europe – Universités de Paris-I et de Paris-IV/CNRS).

Lancé à la fin de 2011, à la suite d’un appel à contributions largement diffusé, le réseau « Europax » rassemble de jeunes chercheurs et des universitaires confirmés autour d’un projet fédérateur qui a pour objet l’unité européenne pensée, fantasmée et réalisée, comme moteur de la paix intérieure et internationale. Cette hypothèse de départ ne suppose pas d’arriver nécessairement à une conclusion positive. La conclusion viendra de l’examen rigoureux des faits selon les méthodes de l’histoire à la suite d’une confrontation avec des archives, écrites ou orales.

Le projet vise donc à questionner voire à déconstruire la célèbre formule « L’Europe c’est la paix » selon une approche qui peut se décliner sous différentes facettes. Il cherche à envisager les mots « Europe » et « paix » dans leurs acceptions les plus variables et sur une période bien plus vaste allant des projets de paix perpétuelle du XVIIIe siècle aux enjeux actuels de la construction européenne.

Le projet Europax ambitionne également d’interroger l’originalité et les spécificités des modèles de pacification imaginés et mise en place par les Européens. Dans une approche résolument globale du concept de paix, cette recherche vise à proposer un concept intégrateur qui puisse attirer les historiens travaillant sur des objets fort différents (histoire économique, histoire politique, histoire des institutions, histoire des idées, etc.), ainsi que des civilisationnistes, politistes, juristes ou philosophes intéressés par cette thématique.


Une première journée d’études a été tenue à l’Université de Paris-1 le
13 janvier 2012, à laquelle a contribué une dizaine de chercheurs français et étrangers a démontré la pertinence de cette approche et des pistes de recherche prometteuses se sont dégagées des exposés et de la discussion générale.

Dans une logique de développement du projet, une demande de financement a été formulée en janvier dernier auprès de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et un séminaire à destination des étudiants de Master et Doctorat ainsi qu’aux chercheurs intéressés a été mis sur pied (en collaboration avec le Professeur Éric Bussière, Université de Paris-IV) pour le second semestre 2011-2012. Il sera reconduit en 2012-2013.

Les contributions de la journée d’études et du séminaire fournissentla matière d’un numéro spécial de la revue Matériaux (éditée par l’Association des Amis de la BDIC – Nanterre) qui paraîtra au premier semestre 2013.

L’ambition du réseau « Europax » est d’organiser ses recherches autour de trois groupes de travail :

  • le premier sur « prospective et imaginaire de la paix par l’unité européenne depuis le XVIIIe siècle »,
  • le second sur « l’Europe comme laboratoire et champ d’expérimentation de la paix par la coopération et l’unité »,
  • le troisième sur « l’Europe unie, modèle de pacification et artisan de la paix dans le monde ».

Cette division thématique ne doit pas être trop rigide, chaque chercheur pouvant participer à plusieurs axes en fonction de ses compétences.

En engageant ce programme de recherche ses promoteurs s’appuient évidemment sur les recherches antérieures qui ont été à l’Institut Pierre Renouvin (Université de Paris-1) puis à l’UMR « IRICE ». Mentionnons pour mémoire le programme international « Identité et conscience européennes au XXe siècle » , les colloques organisés par le groupe de liaison des historiens auprès de la Commission européenne, dont celui tenu à Rome en 2007 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la naissance du Marché commun , le programme du réseau international « Espace et temps de l’Europe », devenu GDRE, ainsi que les nombreux travaux de l’axe de recherche consacré à l’histoire de l’unité européenne au sein de l’UMR « IRICE » depuis sa création en 2002.

Mais à considérer l’abondante littérature scientifique issue de tous ces travaux scientifiques, notamment les nombreuses publications parues en vue du colloque de Rome (2007) , on est frappé par le fait qu’aucun des titres publiés n’annonce clairement un objet relatif à la question de la paix par l’unité européenne. On peut évidemment se dire que tout ce qui touche à la réconciliation franco-allemande est pertinent, mais l’interrogation fondamentale de tous ces travaux porte sur le succès des Communautés et sur leur pérennité.

En outre, en privilégiant pendant trop longtemps la période de l’après-1945, celle des premières réalisations en faveur de l’unité européenne, les historiens de la construction européenne ont été naturellement enclins à négliger l’importance de l’idéal pacifique dans les projets européens – alors que celui-ci avait occupé une place centrale dans les décennies antérieures. C’est pourquoi le projet « Europax » propose à dessein de porter son attention sur le long terme, des plans de paix perpétuelle du XVIIIe siècle à l’Union européenne actuelle.

Plus généralement, il faut bien avouer que la recherche historique française ne s’est que très médiocrement intéressée aux questions de la paix, et il n’existe pas de “peace studies” ou de “Friedensforschung” comme dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne, même s’il est vrai que ces recherches ne sont pas toujours exemptes d’un certain esprit militant. Or, l’historiographie française commence depuis plus d’une décennie à normaliser l’objet paix en lui appliquant des questionnements qui relèvent d’une analyse plus classique des sciences sociales, notamment chez les historiens médiévistes et modernistes . Si un tel mouvement est encore assez discret chez les historiens de l’Europe contemporaine, le projet “Europax” entend indubitablement contribuer à ce renouveau des réflexions sur la paix.

Quels sont les champs de recherche à développer ? D’abord des champs neufs par rapport aux recherches précédemment citées. Ensuite une réinterprétation de l’historiographie antérieure.

Les champs neufs relèvent directement de la paix et de la guerre. Comment les Européens ont-ils pensé et fait la paix depuis le XVIIIe siècle ? Dans ces alternatives théoriques ou concrètes à l’état de guerre, quelle place existait-elle pour la construction de l’unité européenne ? En quoi l’Europe peut-elle être considérée comme un laboratoire et un champ d’expérimentation de la paix par la coopération et l’unité ? La pacification des relations inter-européennes devra être appréhendée sur tous les plans (pacification politique, désarmement économique ou rapprochement intellectuel et moral). Il s’agit donc d’interroger l’originalité et les spécificités des modèles de pacification imaginés et mise en place par les Européens au cours des trois derniers siècles.

Le concept de paix par l’unité européenne sera ainsi totalement exploré pour en vérifier la richesse et les limites, dans une perspective de comparaison entre les constructions européennes proprement dites (Conseil de l’Europe, CECA, CEE, etc.) et les autres formes de pacification internationale (SDN, ONU, GATT, OTAN, etc.). L’internationalisme, comme solution aux guerres, n’a pas eu le succès que ses promoteurs en attendaient et pourtant, à travers la SDN et l’ONU et avec le développement de nombreuses autres formes de coopération internationale, il lie les États et apporte des solutions, imparfaites, aux conflits. Le projet d’unité européenne renforce-t-il ce phénomène d’internationalisation ou est-il original au point de ne pouvoir s’y comparer ? Les concepteurs de l’internationalisme conçoivent-ils leur projet en relation avec l’unité européenne ?

L’existence de l’Union européenne, d’un espace de décision commun à 27 États ou plus, suscite des interrogations dans le reste du monde. Cette Union européenne est-elle en train de créer des normes de comportements internationaux ? On voit bien que Chine, Russie, Iran n’entrent guère dans les schémas européens.

Pourtant la question est de savoir si l’Europe unie peut créer la paix et si c’est un objectif de l’Union. Comment tient-elle compte des résolutions du Conseil de Sécurité et des déclarations de l’Assemblée générale de l’ONU ?

La réinterprétation des recherches antérieures à la lumière du concept de paix européenne suppose de réviser des conclusions anciennes. Les thèses, ouvrages et articles sur la construction européenne ont souvent présenté le processus d’unité comme la manifestation d’une conscience nouvelle des chefs d’État et de gouvernements, des chefs d’entreprise ou des intellectuels, ou des opinions publiques. La raison l’emporterait désormais au moins en Europe. Plus rien ne justifierait de la guerre, que ce soit pour des raisons idéologiques, ethniques, territoriales, économiques, culturelles. La paix perpétuelle aurait donc été établie depuis le 9 mai 1950 à la suite d’une prise de conscience de la vanité des affrontements antérieurs.

Déconstruire cette idée ne veut pas dire la réduire à néant et ignorer les raisons d’agir des pionniers de l’unité. Des termes peuvent être introduits dans la réflexion. Jean Monnet utilisait celui de « nécessité ». On peut parler aussi de « l’intérêt » des peuples et des Etats à faire l’unité. La recherche de « la prospérité économique » n’est-il pas depuis le développement du capitalisme une raison fondamentale de la quête d’unité ? La réconciliation, terme utilisé très largement pour qualifier les rapports franco-allemands, a des limites pour rendre compte du phénomène qui en effet s’est produit. En fait la noblesse du projet d’unité ne relève-t-il pas aussi d’une lecture partielle de la réalité infiniment plus complexe ? Le terme de « conflit » doit être utilisé pour rendre compte de l’état de l’Union. Les historiens et les sociologues ne peuvent fermer les yeux sur les tensions qui perdurent dans l’espace européen, comme les affrontements dans les Balkans l’ont illustré. Dans quelle mesure les racines de ces tensions ont-elles été détruites par la création de l’Union européenne ?

Ce qui amène à d’autres questions sur les meilleurs moyens de développer à l’intérieur de l’Union l’harmonie politique afin de rendre l’espace européen plus prospère et le plus stable possible ou encore sur l’euroscepticisme, une réalité tout au long du XXe siècle.