Victor Hugo en 1848 par Lafosse

Victor Hugo

Pour les

États-Unis d’Europe

(1849)

    "Eh bien ! vous dites aujourd’hui, et je suis de ceux qui disent avec vous, tous, nous qui sommes ici, nous disons à la France, à l’Angleterre, à la Prusse, à l’Autriche, à l’Espagne, à l’Italie, à la Russie, nous leur disons :

Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains […]. Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la diète est à l’Allemagne, ce que I’Assemblée législative est à la France (Applaudissements.) Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être ! (Rires et bravos.) Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe (Applaudissements), placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits. leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu (Longs applaudissements.)

Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle.

Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer. (Immenses applaudissements.)

    Nous aimer ! Dans cette oeuvre immense de la pacification, c’est la meilleure manière d’aider Dieu !

Car Dieu le veut, ce but sublime ! Et voyez, pour y atteindre, ce qu’il fait de toutes parts ! Voyez que de découvertes il fait sortir du génie humain, qui toutes vont à ce but, la paix ! Que de progrès, que de simplifications ! Comme la nature se laisse de plus en plus dompter par l’homme ! Comme la matière devient de plus en plus l’esclave de l’intelligence et la servante de la civilisation ! Comme les causes de guerre s’évanouissent avec les causes de souffrance! Comme les peuples lointains se touchent ! Comme les distances se rapprochent ! Et le rapprochement, c’est le commencement de la fraternité !

Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au Moyen Age ! Grâce aux navires à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée. Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde. (Applaudissements.) […]"

 

Victor Hugo, Discours d’ouverture au Congrès de la paix de Paris (21 août 1849).

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