TD 9 - L'ère Briand - Stresemann


Texte 29 – Lettre de Gustav Stresemann au Kronprinz (7 novembre 1925), p. 29.

De nombreux ouvrages sont parus depuis. Les plus récents sont plus équilibrés dans leur jugement sur Stresemann :

Courte notice biographique du Kronprinz Wilhelm [1882-1951] (en allemand)


Les accords de Locarno

Gustav Stresemann, Austen Chamberlain et Aristide Briand à Locarno (1925)

Cette photographie montre les signataires du traité de Locarno lors d'un dîner donnéé par Sir Austen Chamberlain à la Lansdowne House (Londres).

De gauche à droite, le comte Vittorio Scialoja (Italie), le chancelier Hans Luther et Gustav Stresseman (Allemagne) ; Baldwin, Lord et Lady Chamberlain (UK), Edourd Benes (Tchécoslovaquie), Briand (France), le Comte Skrzynski (Pologne) and Emile Vandervelve (Belgique).

 

Les fameux Accords de Locarno (16 octobre 1925) sont constitués de trois types de traités :


· le Traité de garantie mutuelle, dit Pacte rhénan, entre l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie : l’Allemagne, la France et la Belgique s’engagent à considérer les frontières existantes, ainsi que la zone démilitarisée du Rhin, comme inviolables ; à n’attaquer, envahir ou recourir à la guerre en aucun cas. Pour tout litige entre eux, ils acceptent un système complet de règlement pacifique, dans l’esprit du Protocole de Genève. Ces obligations sont placées sous la garantie de la Grande-Bretagne et de l’Italie.


· quatre Conventions d’arbitrage : les deux premières, entre l’Allemagne et la Belgique, et entre l’Allemagne et la France, établissent en détail les méthodes de règlement pacifique auxquelles ces pays se sont engagés dans le Pacte rhénan ; les deux autres, entre l’Allemagne et la Pologne, et entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, mettent en place un système sophistiqué d’arbitrage, de conciliation ou de recours au Conseil de la SDN.

· deux Traités de réassurance, signés séparément entre la France et la Pologne, et entre la France et la Tchécoslovaquie : chacun promet un soutien armé aux autres – en vertu de l’article 16 du Pacte – en cas d’attaque de
l’Allemagne.

 


Texte 31 – Discours d’Aristide Briand à la SDN (10 septembre 1926), p. 31.

« Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage, à la paix ! »


Le 10 septembre 1926, l'Allemagne faisait son entrée triomphale à la Société des Nations.

Ce fut incontestablement une date mémorable pour les délégations des 55 pays qui avaient fait le déplacement à Genève pour suivre les travaux de la VIIe assemblée générale ordinaire de la SDN et qui avaient pris place, par ordre alphabétique, sur les bancs de bois de la salle de la Réformation, sous le regard croisé de la presse internationale et du public, massés dans les galeries autour de la salle. Ce lieu austère, sans draperies ni dorures, était en ce jour le théâtre d’un événement que tous les contemporains regardèrent comme historique : l’entrée de l’Allemagne à la Société des nations, avec siège permanent au Conseil, ce qui manifestait symboliquement son retour dans le concert des grandes puissances.

Après l’ouverture solennelle de la séance par le président de la VIIe Assemblée, le Serbe Momtchilo Nintchitch, Gustav Stresemann, chef de la délégation allemande et ministre des Affaires étrangères, fendit la foule pour rejoindre la tribune, alors que « les délégués, debout, l’applaudi[ssaient], soulevés d’une frénésie dépassant les délires qui avaient accueilli le Protocole et les accords de Locarno » [Louise Weiss, Mémoires d’une Européenne, tome II, Paris, Payot, 1970, p.270]. Pourtant, à en croire un autre témoin de la scène, Henry de Jouvenel, membre de la délégation française à Genève en 1926, Stresemann n’aurait été accueilli qu’« avec une politesse tranquille et ceux qui craignaient un déchaînement d’enthousiasme ont été rassurés » [Lettre d’Henry de Jouvenel à Germaine Patat datée du 8 septembre 1926].

Le représentant de l’Allemagne prit alors la parole pour prononcer un discours « très académique dans sa forme, très parlementaire dans sa dialectique, très allemand dans son fond » [Louise Weiss], de surcroît « lu dans une langue qu’une partie de l’Assemblée n’entendait pas » [William Martin, « La Séance », Journal de Genève, 11 septembre 1926]. Stresemann y développait quelques uns de ses thèmes favoris : la collaboration pacifique des États - particulièrement avec ceux qui ont été alliés contre l’Allemagne-, l’abaissement des barrières douanières en Europe, la nécessité du désarmement général prévu par le traité de paix et la vocation à l’universalité de la Société des nations.

Gustave Stresemann (debout) s'exprimant à la tribune de la Société des Nations
Aristide Briand et Gustave Stresemann

Pour lui répondre, le premier délégué de la France à l’Assemblée, Aristide Briand, « en veston noir étriqué et pantalon en tuyau de poêle, mont[a] lentement à la tribune, soulevant des tempêtes d’applaudissements » [Geneviève Tabouis, Vingt ans de « suspense » diplomatique, Paris, Albin Michel, 1958, p. 44] et fit un discours « qui nous a mis les larmes aux yeux, à tous ou à presque tous » [Lettre d’Henry de Jouvenel , 8 septembre 1926]. C'est le texte qui est aujourd'hui proposé en commentaire.

Briand-Stresemann, première incarnation du couple franco-allemand

Les deux hommes furent en effet ce 10 septembre 1926 la parfaite incarnation d’une nouvelle figure de la mythologie politique promise à un grand avenir : le couple franco-allemand.

D’un côté, Aristide Briand, délégué de la France à Genève depuis l’automne 1924 et ministre des Affaires étrangères depuis avril 1925, s’affirmant comme un « diplomate, un virtuose de la transaction dans les délibérations internationales» [Georges Suarez, Aristide Briand, sa vie, son œuvre, tome VI, Paris, Plon, 1952, p. 59], jouissant en outre, depuis la conclusion des accords de Locarno, d’une immense popularité en France.

Face à lui, Gustav Stresemann, chancelier d’Allemagne durant quatre mois en 1923, avant d’occuper le poste de ministre des Affaires étrangères jusqu’en 1929. Ancien pangermaniste durant la Première Guerre mondiale et opposant acharné au traité de Versailles, il était désormais celui qui incarnait la nouvelle politique extérieure de l’Allemagne, basée sur la conciliation, que l’admission à la SDN venait en quelque sorte couronner.

Nul doute que les relations entre les deux hommes fussent cordiales, le ministre allemand sachant très vite gagner la confiance de son homologue français. Mais nul doute également que les deux hommes aient agi au moins autant en nationaux qu’en Européens : la réconciliation était avant tout un choix tactique au service des intérêts de leur pays respectif.

Stresemann ne faisait d’ailleurs pas mystère de certaines arrières-pensées, tenant par exemple devant les convives de la brasserie Gambrinus, quelques jours seulement après l’entrée de son pays à Genève, un discours moins modéré qu’à l’habitude, rejetant la thèse de la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre, affirmant le droit de l’Allemagne à avoir des colonies, et déclarant que sa politique n’avait pour seul but que « la liberté et la grandeur de l’Allemagne » :

« Il s’agit aujourd’hui de rétablir la souveraineté allemande sur le sol allemand et, au-delà, de trouver, grâce à une politique habile et réfléchie, en collaboration avec les autres nations dans toute l’Europe, les chemins pour restaurer le droit à l’autodétermination des peuples là où il a été violé » [Cité dans Christian Baechler, Gustav Stresemann (1878-1929), De l’impérialisme à la sécurité collective, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1996, p.691].

Pour Briand, qui avait conscience de la stratégie de son homologue, il s’agissait donc d’enserrer l’Allemagne dans un réseau de liens et d’engagements internationaux limitant sa marge de manœuvre révisionniste : l’admission de l’Allemagne à la SDN était donc parfaitement justifiée de ce point de vue.

Lire la suite dans Jean-Michel Guieu "Genève, 1926: capitale de la paix ? " (Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, n°12)

Ecouter Aristide Briand : discours prononcé à la Société des Nations le 7 septembre 1929 (Site INA/jalons).


Aristide Briand (1862-1932), le « pèlerin de la paix »

Nommé onze fois président du Conseil et vingt-cinq fois ministre, Aristide Briand fait partie des personnalités qui ont le plus marqué la vie politique française du début XXe siècle. Cependant, cet artisan de la réconciliation franco-allemande, militant pour une union européenne, est aujourd’hui mal connu.

Au terme d’une brillante carrière politique au service de la réconciliation et de la paix, Aristide Briand fut, après sa mort en 1932, l’objet d’un véritable culte qui dura jusqu’à la guerre. Pourtant, si l’on continue de voir son nom inscrit sur bien des plaques de rues ou de places, il est aujourd’hui fort méconnu. La raison en est que son souvenir a beaucoup souffert d’être lié à celui du pacifisme et de la IIIe République auxquels on a imputé la défaite de 1940. On en a alors fait un rêveur de paix, lui l’homme de la loi des trois ans (1913), le chef politique de la France en guerre (1915-1917) au moment de la bataille de Verdun, le président du Conseil qui menaça en 1921 « d’abattre une main ferme sur le collet de l’Allemagne » si elle ne payait pas ses réparations. « Sécurité d’abord fut sa maxime. Il ne s’en est pas écarté », dira André Tardieu à l’occasion de ses funérailles. Pour autant, le nom de Briand n’est pas injustement rattaché à la paix, comme en témoigne le prix Nobel qui lui fut décerné en 1926 – ainsi qu’à son homologue allemand Stresemann – et qui contribua davantage encore à forger son image de « pèlerin de la paix », à laquelle il n’était d’ailleurs pas étranger : « Tant que je serai où je suis, il n’y aura pas de guerre », aimait-il à répéter.

Écarté des négociations de la paix par Clemenceau, Briand considérait que le traité de Versailles était assez mal rédigé, mais il en avait néanmoins voté la ratification et l’avait appliqué à son retour aux affaires en 1921. Conscient cependant que rien n’empêcherait la renaissance de l’Allemagne, il s’engagea bientôt dans la voie d’un assouplissement de la politique de « Versailles », préférant ainsi éviter l’isolement français et donner la priorité à l’alliance anglaise. Cette politique ne fut pas comprise par la majorité du Bloc national et Briand préféra démissionner le 12 janvier 1922.

Avec son installation durable au Quai d’Orsay, de 1925 à 1932, Briand marqua considérablement la politique étrangère de la France. Son premier acte politique fort fut la signature, en octobre 1925, des accords de Locarno par lesquels l’Allemagne reconnaissait ses frontières occidentales avec la garantie de la Grande-Bretagne et de l’Italie. Bien conscient des insuffisances de ces accords qui ne disaient rien sur les frontières orientales de l’Allemagne, Briand chercha à tisser un réseau de liens et d’engagements autour de l’Allemagne afin de limiter ses possibilités d’actions révisionnistes. Il mena alors une politique ouvertement axée sur le rapprochement franco-allemand, formant avec Gustav Stresemann le premier couple franco-allemand de l’histoire. Lorsque l’Allemagne entra à la SDN, en septembre 1926, Briand accueillit l’ancienne ennemie par ces paroles demeurées célèbres : « Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage, à la paix ! »

Pourtant, les perspectives ne tardèrent pas à s’assombrir : Briand avait pu observer dès 1928 à la Société des nations (SDN) la montée du révisionnisme allemand au sujet des minorités germanophones de Pologne ; de plus, il n’avait pas réussi à ramener les États-Unis aux côtés de la France dans les affaires de sécurité européenne, n’obtenant d’eux qu’un pacte général de renonciation à la guerre, le fameux « Pacte Briand-Kellogg » signé à Paris le 27 août 1928 par 57 nations. Enfin lors de la conférence de La Haye, en août 1929, Briand avait été contraint d’accepter, du fait de l’insistance des Alliés, l’évacuation anticipée de la Rhénanie, c’est-à-dire d’abandonner le principal moyen que la France avait encore en sa possession pour maintenir sa pression sur l’Allemagne.

Devant l’Assemblée de la SDN, le 5 septembre 1929, Briand tenta alors une ultime manœuvre pour encadrer le danger allemand, en proposant d’instituer « une sorte de lien fédéral » entre les 27 États européens membres de l’organisation genevoise. La diplomatie allemande ne s’y trompa point et entendit réserver un « enterrement de première classe » au projet français. La plupart des réactions européennes furent d’ailleurs plus ou moins ouvertement hostiles et une modeste Commission d’étude pour l’union européenne, créée au sein de la SDN, en fut le seul résultat concret. Elle n’allait d’ailleurs guère survivre à la mort d’Aristide Briand le 7 mars 1932.