TD 6 - Tensions nationalistes et efforts pacifistes


 

Texte 18 – Appel de la Ligue franco-allemande (1919), p. 17-18.

 

- LORRAIN Sophie, Des pacifistes français et allemands, pionniers de l’entente franco-allemande 1870-1925, Paris, L’Harmattan, 1999.

- CHICKERING Roger, Imperial Germany and a world without war : The Peace Movement and German Society, 1882-1914, Princeton, Princeton University Press, 1974, 419 p.

- COOPER Sandi E., Patriotic pacifism : waging war on war in Europe, 1815-1914, New York/Oxford, Oxford University Press, 1991, 336 p.

- GROSSI Verdiana, Le Pacifisme européen, 1889-1914, Bruxelles, Bruylant, 1994, 512 p.


Le Pacifisme en Allemagne

En Allemagne, la Deutsche Friedengesellschaft (DFG), créée en 1892, par l’autrichien Hermann FRIED, restera la seule organisation à se proclamer explicitement pacifiste jusqu'au début de la guerre. La fondation en 1911 du Verband für international Verständigung a pour but de pallier le manque de résonance du pacifisme au sein de la population allemande. Initiée par la DFG elle-même, « cette ligue est une société de la paix en partie destinée à ceux qui n'osent se dire pacifistes et le sont cependant » (cité par Sophie Lorrain, op. cit.).

Avec ses 10.000 membres, la DFG a été un corps étranger dans l'empire. Les pacifistes étaient considérés comme des "non-allemands parce que "internationalistes".

La DFG a été fondée par l'autrichienne Bertha von Suttner (1843-1914), auteur du roman "Die Waffen nieder! (1889) et fondatrice de la Société autrichienne des Amis de la Paix "(1891), et par le journaliste juif Alfred Hermann Fried (1864-1921). Tous les deux ont reçu le prix Nobel de la Paix (1905 et 1911).

À partir de 1912, l'historien munichois Ludwig Quidde historien (1858-1941), auteur de la satire "Caligula" (1894) contre l'empereur Guillaume II (1888-1918), a été élu Président de la DFG. C'est grâce à lui que le Congrès Universel de la paix de 1907 s'est tenuà Munich.

Ludwig Quidde, Prix Nobel de la paix (1927). Biographie (en anglais)


Le pacifisme en France

Il est assez difficile de connaître le nombre précis des Français engagés dans le pacifisme à la veille de la première guerre mondiale. En se basant sur l’exemple de l’APD, dont on sait qu’avec sa vingtaine de sections locales elle réunissait au total environ 4 000 adhérents en 1912, Roger Chickering propose de retenir le chiffre de 200 pour le nombre moyen de militants par société pacifiste ou section locale, ce qui au total porterait les effectifs pacifistes avant la guerre à 20 ou 25 000 personnes.
Si l’on prend en considération les effectifs des organisations qui ont adhéré collectivement au mouvement en faveur de la paix, comme par exemple la Fédération des universités populaires, la Société de l’éducation pacifique, la Ligue des droits de l’homme (LDH), l’Association nationale des libres penseurs, les loges maçonniques ou les coopératives, on peut estimer, comme le fait Alfred Fried en 1907, que ce sont près de 300 000 Français qui sont impliqués dans le mouvement pacifiste. Pour autant, si l’on ne doit retenir dans ces calculs que le nombre réel des pacifistes actifs, c’est-à-dire ceux qui ne se contentent pas d’une adhésion de pure forme à un groupement pacifiste, il faut se résoudre à l’idée que le militantisme pour la paix ne rassemble qu’une petite élite de Français, probablement quelques milliers de personnes, ce qui est néanmoins un chiffre supérieur au cas allemand.
La France compte effectivement à la veille de la première guerre mondiale au moins une trentaine de sociétés pacifistes, et leur nombre s’est notablement accru sous l’effet conjugué de l’Affaire Dreyfus (1898) et de la première Conférence internationale de la paix de La Haye (1899). Pour les seules années 1898-1902, 27 nouvelles sociétés se sont créées, même s’il s’agit souvent de sections locales d’associations nationales ou internationales.

Toutefois, trois sociétés occupent le devant de la scène pacifiste, à la fois par leur ancienneté, leur implantation sur le territoire, le nombre de leurs adhérents, la personnalité de leurs leaders, et le rayonnement de leur action. Il s’agit de :

- la Société française pour l’arbitrage entre les nations fondée par Frédéric Passy. La Société reste marquée par la personnalité de son fondateur, Frédéric Passy, prix Nobel de la Paix en 1901, venu au pacifisme par l’approche économique et le libre-échange, et qui toute sa vie a défendu un système juridique organisé afin de préserver la paix internationale.

Frédéric PASSY

- la Ligue internationale de la paix et de la liberté (LIPL) présidée par Émile Arnaud.

Elle a été fondée à Genève en 1867 lors d’un congrès tenu sous la présidence d’honneur de Garibaldi et son siège restera en Suisse jusqu’en 1919, date à laquelle il sera transféré à Paris. Le Comité de Paris est dirigé par Émile Arnaud, notaire à Luzarches, qui devient en 1891, à 27 ans seulement, président de la Ligue après la disparition de Charles Lemonnier. La Ligue publie un organe mensuel, Les États-Unis d’Europe, dont la première page rappelle le programme en treize points du mouvement, c’est-à-dire notamment la Fédération républicaine des peuples d’Europe, l’arbitrage international ou encore la création d’un Code et d’un tribunal international. Au fil du temps, son action se concentre surtout autour de l’idée d’arbitrage permanent.

- l’Association de la paix par le droit (APD) animée par Théodore Ruyssen est née le 7 avril 1887. Fondée par six lycéens nîmois, l’association est marquée par l’esprit protestant. Du point de vue social, l’Association subit l’influence du socialisme utopique et de l’École coopérative de Nîmes, animée par Charles Gide, Emmanuel de Boyve et Auguste Fabre, « propagandiste irrésistible », ce dernier s’intéressant particulièrement à ces jeunes militants de la paix et convertissant Jules Prudhommeaux au fouriérisme. En 1895, elle prend le titre d’Association de la paix par le droit.

À partir de 1902, les sociétés françaises de la paix prennent l’habitude de se rassembler en Congrès nationaux de la paix, qui réunissent souvent plusieurs centaines de participants. Mais on ne put unifier les forces pacifistes au-delà d’une modeste Délégation permanente des sociétés françaises de la paix, créée en 1902, et présidée par Charles Richet, avec pour secrétaire général Lucien Le Foyer, mais bien éloignée d’une véritable organisation fédérale du pacifisme ou même d’une société nationale de la paix comme ce fut le cas par exemple en Allemagne.

Quelle est l’influence des idées pacifistes dans les milieux politiques ? S’il est un parti politique où les idées pacifistes ont trouvé un écho particulièrement important, c’est bien le Parti radical. Un certain nombre de membres éminents du Parti radical sont personnellement très impliqués dans le mouvement pacifiste : Ferdinand Buisson, Charles Beauquier ou Yves Guyot sont membres du comité exécutif de la section française de la LIPL, Charles Beauquier et Hippolyte Laroche sont aussi respectivement vice-président et membre du conseil d’administration de la Société française pour l’arbitrage entre les nations. Lucien Le Foyer, ancien député, est à la fois secrétaire du comité exécutif du Parti radical et secrétaire général de la Délégation permanente des sociétés françaises de la paix. Mais plus encore que tous les autres radicaux, Léon Bourgeois a su incarner le combat en faveur de la paix.


La défense de la paix devient également, au début du XXe siècle, la grande préoccupation des socialistes qui opèrent de ce fait un rapprochement avec les pacifistes « bourgeois ». Le Parti socialiste se range progressivement derrière les vues de Jean Jaurès, qui est son principal porte-parole en matière de politique étrangère. Obsédé par la menace de guerre, il lutte ardemment pour la paix et place tous ses espoirs dans la IIe Internationale.
À la droite des radicaux, un certain nombre de républicains modérés sont également des pacifistes actifs, à l’instar de Ludovic Trarieux ou surtout de Paul d’Estournelles de Constant. Cet ancien diplomate, député (1895) puis sénateur de la Sarthe (1904), inscrit au groupe de l’Union républicaine, a fait preuve d’une intense activité au service de l’arbitrage international. Il a fondé au mois de mars 1903 le Groupe parlementaire français de l’arbitrage international. Le Groupe reçoit dans sa première année l’adhésion de 196 députés et 55 sénateurs issus de la gauche républicaine, dont Jean Jaurès, Joseph Caillaux, Marcel Sembat, Aristide Briand, Alexandre Millerand, Léon Bourgeois, Paul Deschanel,… À la veille de la première guerre mondiale, il compte dans ses rangs 168 des 300 sénateurs et 344 des 584 députés.


Le pacifisme français est donc un pacifisme surtout juridique qui se place moins du point de vue du sentiment et de la morale que de celui de la raison et du droit. Synthétisant la doctrine des pacifistes français, Théodore Ruyssen déclarait qu’ils « veulent la paix par le droit, c’est-à-dire la substitution d’un ordre juridique à l’anarchie actuelle des nations ». Les militants pour la paix mettent beaucoup d’espoirs dans la procédure de l’arbitrage qui a pris à la fin du XIXe siècle un nouvelle dimension avec l’organisation de la première Conférence de la Paix de La Haye en 1899 qui, à l’initiative de la Russie, réunit les plénipotentiaires de vingt-six États, et c’est Léon Bourgeois qui conduit la représentation française. Si la Conférence échoue dans son objectif primitif, la réduction des armements, elle adopte néanmoins la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux qui codifie l’arbitrage facultatif et crée une Cour permanente d’arbitrage siégeant à La Haye. La Seconde conférence de La Haye, qui réunit cette fois les délégués de quelque quarante-quatre États, reconnaît officiellement le principe de l’arbitrage obligatoire et la possibilité de son application sans aucune restriction, dans certains cas déterminés, mais ne parvient pas à déboucher sur la conclusion d’un traité mondial d’arbitrage obligatoire, qui n’est voté que par 32 nations et ne peut donc être inséré dans l’Acte final.