Tensions franco-allemandes et crise de la Ruhr


• Commentaire : Texte 24 – Théodore Russyen, « L’Allemagne et le traité de Versailles » (1922), p. 24.

Théodore RUYSSEN (1868-1967)


Issu d’une famille nombreuse de la petite bourgeoisie, il est reçu à l’École normale supérieure en 1889. Après l’agrégation de philosophie, un voyage en Allemagne et trois années passées à la fondation Thiers, il enseigne successivement, de 1896 à 1904, aux lycées de La Rochelle, Limoges et Bordeaux.
Sa carrière se poursuit ensuite aux universités d’Aix (1904-1906) et de Dijon (1906-1908), avant d’être nommé professeur d’histoire de la philosophie à l’Université de Bordeaux (1908-1921).
Il s’associe au mouvement pacifiste dès 1893, en adhérant à la jeune Association de la Paix par le Droit, dont il devient le président dès 1896, fonction qu’il exercera pendant plus de cinquante ans.
En janvier et février 1913, il se rend en Alsace et y prononce des discours en faveur de la paix et du rapprochement franco-allemand, à l’invitation du groupe alsacien de la Conciliation internationale, ce qui lui vaut une très violente campagne de la presse nationaliste et une série de manifestations organisées par les Camelots du roi.
Pendant la guerre, il milite en faveur de la Société des Nations et s’enthousiasme pour les messages du président Wilson. En 1921 il est appelé à assumer le secrétariat général de l’Union internationale des associations pour la Société des Nations, désignation qui l’amène à renoncer à ses fonctions d’enseignement à l’Université de Bordeaux. À ce poste, il joue un rôle central au sein du mouvement international de soutien à la Société des Nations pendant tout l’entre-deux-guerres, effectuant notamment un grand nombre de voyages de propagande dans presque tous les pays d’Europe.
Il quitte officiellement ses fonctions le 30 septembre 1939 au moment où l’Europe entre dans un nouveau conflit. Pendant la guerre il est chargé de cours à l’université de Grenoble. Au lendemain du conflit, il quitte ses fonctions de président de la Paix par le Droit en 1948 et se consacre alors essentiellement à l’écriture. Il meurt en 1967.

Un si lourd bilan (d'après Jean-Jacques Becker) :

- pertes humaines et matérielles

La guerre a tué environ 13 millions d’hommes (y compris les morts de la guerre civile russe qui succéda à la révolution d’octobre 1917). La France a perdu 10,5% de ses hommes actifs et l'Allemagne 9,8.

- transformations territoriales

- Traité de Versailles avec l’Allemagne : 28 juin 1919

Peinture de William Orpen - 1919 (Imperial War Museum)

=> l’Allemagne fut coupée en deux par le corridor de Dantzig et perdit (à l’ouest et à l’est) le 1/7e de son territoire (88 000 km2) et le dixième de sa population (8 millions de personnes) ; en outre elle dut céder la totalité de ses territoires coloniaux.

[source de la carte ci-dessus].

- Traité de Saint-Germain-en-Laye avec l’Autriche : 10 septembre 1919

- Traité du Trianon avec la Hongrie : 4 juin 1920

- Traité de Neuilly avec la Bulgarie : 27 novembre 1919

- Traité de Sèvres avec la Turquie : 11 août 1920.

==> Neuf États apparurent ou réapparurent en Europe : la Finlande, les États Baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Autriche, la Hongrie et la Yougoslavie.

- bouleversements politiques

En Allemagne, après une tentative révolutionnaire qui échoua, une république parlementaire succéda au régime impérial (régime constitutionnel à tendance autoritaire), sans que soit modifié le système socio-économique.

- changements économiques et financiers

L’appauvrissement du Royaume-Uni, de la France et de l’Allemagne fut compensé par l’enrichissement des pays qui avaient profité de la guerre, le Japon et surtout les États-Unis. Ces derniers ont largement renforcé leur place de première puissance économique et sont devenus la première puissance financière : débiteurs de l’Europe avant la guerre, ils en étaient maintenant les créanciers.


 

Lire Vincent Laniol, "Des archives emblématiques dans la guerre : le destin « secret » des originaux des traités de Versailles et de Saint-Germain pendant la seconde guerre mondiale", Guerres mondiales et conflits contemporains, 2008/1.

Résumé : Les originaux des traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye, archives si emblématiques pour la France et l’Allemagne, connurent un destin exceptionnel au cours de la Seconde Guerre mondiale. Évacués en 1939 en Touraine, ces traités subirent, à la faveur d’une méprise, une saisie organisée dans le plus grand secret par les autorités allemandes. Le secret se maintint à tout prix sur ces vols, au point de ne pas utiliser ces documents dans un but de propagande. La destruction probable de ces traités, notamment celui de Versailles, sur ordre des nazis désirant réécrire l’histoire en annihilant cette archive, expliquerait ce secret. Avant une hypothétique réapparition.

 


• Commentaire : Texte 26 – La crise de la Ruhr vue par Louise Weiss (1929), p. 26.

Louise WEISS (courte notice biographique + chronologie)

Discours de Louise Weiss (17 juillet 1979) devant le Parlement européen. La doyenne de l'assemblée de Strasbourg rappelle son parcours de journaliste, d'écrivain, de cinéaste et évoque son amour de l'Europe, de la culture et de la fraternité en la culture (site INA).

L'Europe Nouvelle, le journal dirigé parLouise Weiss (consultable intégralement sur le site GALLICA)

 

Sur la crise de la Ruhr :

- Stanislas Jeannesson, Poincaré, la France et la Ruhr (1922-1924), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1998.

- « Pourquoi la France a-t-elle occupé la Ruhr », Vingtième Siècle, n° 51, juillet 1996, p. 56-67. [article disponible gratuitement en ligne sur le site Persée]

Une affiche allemande appelant à la résistance passive durant la crise de la Ruhr : "Non, vous ne me soumettrez pas"!


L'occupation de la Ruhr et les Allemands, témoignage d'Oswald Hesnard, Conseiller et interprète d'Aristide Briand (1936)

"On s'eut exposé aux pires erreurs si, évitant les milieux allemands, agités par la passion patriotique, on s'était borné à fréquenter ceux où l'on pouvait toujours trouver sinon une impossible approbation de la politique française, du moins un commentaire modéré, une critique raisonnée de cette politique. Il fallait à tout prix résister à cette sorte de tentation et essayer de porter son regard jusque dans cette masse indistincte où commençait à fermenter de la plus inquiétante façon, tout un magma de passions élémentaires: haine, rancune, impulsions à la vengeance, poussées de désespoir, incertitude de soi-même, besoin forcené de "compensations", appel mystique au Sauveur, au vengeur, au chef. Une grande partie de la Presse, surtout celle de province nourrissait chaque jour cet état passionnel et le surexcitait; il faudrait relire aujourd'hui cette masse d'informations tour à tour exaltante et démoralisante pour se rendre compte de ce que fut l'opinion allemande pendant l'occupation de la Ruhr.

Les classe moyennes prises entre l'ennemi extérieur, qui faisait marcher ses divisions et la fameuse armée rouge qu'on accusait de profiter de l'occasion pour saboter le régime capitaliste et la production industrielle devenaient la proie d'une sorte de rage impuissante. On croyait même savoir que certains capitaines d'industrie, inquiets de la tournure que prenaient les choses, prenaient leurs dipositions pour se mettre sous la protection de l'ennemi, des bruits analogues circulaient touchant l' attitude des banquiers rhénans. Le mark fuyait à grande allure. Le grand public qui voyait pousser partout banques et réseaux de change se représentait la monnaie nationale dilapidée par la banque cosmopolite, et sur le point d'être complètement lâchée par les grands spéculateurs en liaison avec leurs collègues de Paris et de Londres."

Source du document