L'idée européenne dévoyée par l'Allemagne nazie


 

I. La réorganisation de l’Europe par les Nazis


A. L’Europe, concept ethnique

« Il n'y a pas de définition géographique de notre continent, mais seulement une définition ethnique et culturelle. Ce n'est pas l'Oural qui en marque la frontière, mais toujours cette ligne qui sépare la conception de vie de l'Occident de celle de l'Orient ». (Hitler, 11 décembre 1941)

Les Nazis et l'Antiquité

"Depuis 1933, les ouvrages d’historiens et les manuels scolaires accréditent l’idée que les Grecs sont issus d’une migration nordique, qu’ils proviennent du Septentrion germanique. Les Grecs sont donc des frères de race, unis aux Allemands par la consubstantialité du sang. Les jeux Olympiques de 1936, en instaurant la tradition du relais de la flamme imaginée par Goebbels, ont mis en scène cette mutuelle appartenance, en métaphorisant par une course d’Olympie à Berlin le lien entre la Grèce antique et l’Allemagne contemporaine. Dès lors que les Grecs sont annexés à la race nordique, leurs qualités guerrières, leur éminence culturelle sont autant de caractères éternels des Indogermains, seuls « créateurs de culture » comme l’écrit Hitler dans Mein Kampf.

Les Romains, comme les Grecs, sont un peuple issu de migrations nordiques vers la Méditerranée. Comme les Grecs, ils incarnent et expriment les vertus de la race : l'enseignement de l'histoire et du latin ne cesse, depuis 1933, de vanter le mos maiorum, la virtus Romana, le dévouement holistique du citoyen-légionnaire à la communauté civique. On constate que, dans les programmes, les articles de pédagogie et les manuels, Horace, par exemple, fait l'objet d'une exégèse renouvelée : il n'est pas l'esthète épicurien, l'individualiste éthéré que certains de ses vers font soupçonner. Il est le poète viril et martial qui écrit que dulce et decorum pro patria mori ("Il est doux et il est beau de mourir pour la patrie"), maxime sans concession qui élève à la beauté de l'art le sacrifice héroïque du citoyen-soldat. Son maître, Auguste, est plus qu'à son tour comparé, sans que l'anachronisme ou le ridicule ne soient redoutés, à Hitler : tous deux ont relevé une civitas épuisée par les troubles civils en la retrempant dans les valeurs traditionnelles de leur race, résumées par ce holisme ombrageux que le parti nazi ne cesse de promouvoir depuis le programme de 1919 : Gemeinnutz geht vor Eigennutz, l'intérêt général l'emporte sur la jouissance individuelle.

L'usage fréquent de cette référence à l'Antiquité, qui emprunte les multiples vecteurs du discours officiel, de l'enseignement, du travail universitaire, du cinéma, revêt plusieurs fonctions. La plus importante d'entre elles est peut-être la fonction narratologique : en assimilant les Allemands aux Grecs et aux Romains, en affirmant que ces derniers sont des rejetons de la grande race nordique, les nazis construisent un récit à la fois exaltant et inquiétant, le grand récit de l'histoire de la race. Cette histoire est régie par les infrangibles lois de la nature : les forts créent, les faibles détruisent. Or les forts sont menacés par les faibles, qui infectent leur sang et détruisent un peuple en s'infiltrant sournoisement dans son corps, la métaphore organiciste du Volkskörper étant, dans le contexte du biologisme nazi, à comprendre au sens littéral, de même que le mélange des sangs est très explicitement assimilé à un empoisonnement.

L'histoire de l'Antiquité est, dans cette réécriture de l'histoire, dotée d'une exemplarité particulière. Elle vient attester qu'il existe depuis des millénaires une lutte des races. Cet état de guerre interraciale est permanent, il demeure à l'état latent et accède parfois au déploiement de l'événement, dans des conflits ouverts où l'affrontement larvé, l'hostilité sourde, le cède au fracas des armes : l'historiographie de l'Antiquité ainsi que l'enseignement scolaire soulignent à partir de 1933 que deux conflits ont opposé le principe nordique à l'éternel ennemi sémitique et asiatique, les deux guerres médiques en Grèce et les trois guerres puniques de Rome.

Dans les deux cas, la Grèce et Rome ont été vainqueurs sur le champ d'honneur : l'excellence de la phalange hoplitique et de la marine de guerre grecque a eu raison du déferlement de l'Asie sous la houlette du roi des rois. Darius, puis Xerxès, ont mobilisé un continent contre une péninsule et ont été défaits à Marathon (490), puis à Salamine (480) ; les Romains, pour leur part, sont sortis vainqueurs des trois guerres puniques, quand Scipion l'Africain, obéissant à l'injonction du vieux Caton, s'en est allé détruire Carthage. À en lire les historiens et les manuels de l'Allemagne nazie, il ne fait aucun doute que ces guerres opposent des races, l'humanité nordique et la sous-humanité asiatique et sémitique".

Source : Johann Chapoutot , « Comment meurt un Empire : le nazisme, l'Antiquité et le mythe », Revue historique 3/2008 (n° 647) , p. 657-676 URL : www.cairn.info/revue-historique-2008-3-page-657.htm .

B. Organisation autarcique du continent européen

Friedrich List – Mitteleuropa

Grossraum : « grand espace » (Carl Schmitt)

C. Les réalités de l’Europe allemande

Grand Reich et régions annexes (protectorat de Bohême-Moravie et Gouvernement général de Pologne)
Territoires directement administrés par l’Allemagne par des commissaires du Reich (Norvège, Pays-Bas, Ostland, Ukraine).
Territoires administrés par l’armée allemande d’occupation : Belgique, France occupée, territoires soviétiques.
États collaborateurs : France de Vichy, Serbie, Grèce, Danemark, …
Etats alliés : Italie, Slovaquie, Croatie, Hongrie, Roumanie, Finlande, Roumanie, etc.

 

Intégration : peuples apparentés « racialement » aux Allemands

Expulsion : francophones d’Alsace-Lorraine, Polonais de Silésie et de Prusse orientale, etc.

Extermination : Juifs, Tziganes, prisonniers de guerre soviétiques, ...

II. L’instrumentalisation du thème de l’unité européenne par la propagande allemande


A. Camoufler les intentions véritables de l’Allemagne nazie (1940-1941)

Plan de Walther FUNK (25 juillet 1940): fonder une Europe « idéale, réconciliée, équilibrée, communautaire, anticipant le découpage du monde en zones continentales autonomes et indépendantes ».

Joseph Goebbels : « Quand cette guerre sera finie, nous voulons être les maîtres de l’Europe » (26 octobre 1940).

B. Une Europe unie dans une croisade anti-bolchévique (1941-1942)

Pierre Laval : « Je souhaite la victoire allemande parce que, sans elle, le bolchevisme demain s'installerait partout » (22 juin 1942).

"Nous avons eu tort, en 1939, de faire la guerre. Nous avons eu tort, en 1918, au lendemain de la victoire, de ne pas organiser une paix d'entente avec l'Allemagne. Aujourd'hui, nous devons essayer de le faire. Nous devons épuiser tous les moyens pour trouver la base d'une réconciliation définitive. Je ne me résous pas, pour ma part, à voir tous les vingt-cinq ou trente ans la jeunesse de nos pays fauchée sur les champs de bataille. Pour qui et pourquoi ?
Ma présence au gouvernement a une signification qui n'échappe à personne, ni en France, ni à l'étranger. J'ai la volonté de rétablir avec l'Allemagne et avec l'Italie des relations normales et confiantes.
De cette guerre surgira inévitablement une nouvelle Europe. On parle souvent d'Europe, c'est un mot auquel, en France, on n'est pas encore très habitué. On aime son pays parce qu'on aime son village. Pour moi, Français, je voudrais que demain nous puissions aimer une Europe dans laquelle la France aura une place qui sera digne d'elle. Pour construire cette Europe, l'Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques. Elle doit, avec d'autres, consentir d'immenses sacrifices. Et elle ne ménage pas le sang de sa jeunesse. Pour la jeter dans la bataille, elle va la chercher dans les usines et aux champs. Je souhaite la victoire de l'Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s'installerait partout.
Ainsi donc, comme je vous le disais le 20 avril dernier, nous voilà placés devant cette alternative : ou bien nous intégrer, notre honneur et nos intérêts vitaux étant respectés, dans une Europe nouvelle et pacifiée, ou bien nous résigner à voir disparaître notre civilisation.
Je veux être toujours vrai. Je ne peux rien faire pour vous sans vous. Nul ne saurait sauver une nation inerte ou rétive. Seule, l'adhésion du pays peut faire d'une politique sensée une politique féconde. Je sais l'effort que certains d'entre vous doivent faire pour admettre cette politique. L'éducation que nous avons généralement reçue dans le passé ne nous préparait guère à cette entente indispensable.
J'ai toujours trop aimé mon pays pour me soucier d'être populaire. J'ai à remplir mon rôle de chef. Quand je vous dis que cette politique est la seule qui puisse assurer le salut de la France et garantir son développement dans la paix future, vous devez me croire et me suivre (...)."


Pierre Laval, discours du 22 juin 1942, cité in Les Nouveaux Temps, 24 juin 1942.

C. « Crise de l’Europe » et confédération européenne (1943)

Projet de Confédération européenne élaboré par Ribbentrop le 21 mars 1943.


III. L’Europe des collaborationnistes

A. Une victoire salutaire ?

Maurice Lambilliotte, L’Heure de l’Europe. Essai sur la portée de la révolution actuelle, 1940.

Victor Margueritte : « Le Reich hitlérien est devenu l’arbitre de l’Europe. […] Il est en mesure d’ordonner, de diriger l’économie, capable de reconstruire le vieux monde sur les bases de coopération et d’échanges profitables à tous » (27 août 1940).

B. Du briandisme à l’Europe nouvelle de Hitler

Pierre Drieu La Rochelle

Francis Delaisi

Exposition « La France européenne » (avril 1941).


C. Le ralliement à l’Europe nazie

Anton Adriaan Mussert

Organisation de l’Europe reposant sur 2 confédérations : une union germanique dirigée par Hitler, une union des pays latins dirigée par Mussolini

Marcel Déat : « L’Allemagne, en cette construction de l’Europe, a le rôle du maître d’œuvre. Lequel n’est pas un tyran, mais guide, conseille, et même consulte les compagnons. […] La future cathédrale européenne avait besoin d’un maître d’œuvre, sans quoi elle n’aurait jamais été bâtie » (28-29 avril 1941).