cours n°1 - L'Antiquité gréco-romaine et l' "invention" de l'Europe


Paul Valéry (écrivain français - Sète, 1871- Paris, 1945) essaie, en 1922, s'essaie à définir ce qu'est l'Europe :

« Eh bien, je considérerai comme européens tous les peuples qui ont subi au cours de l’histoire les trois influences que je vais dire.

« La première est celle de Rome. Partout où l’Empire romain a dominé, et partout où sa puissance s’est fait sentir ; et même partout où l’Empire a été l’objet de crainte, d’admiration et d’envie ; partout où le poids du glaive romain s’est fait sentir, partout où la majesté des institutions et des lois, où l’appareil et la dignité de la magistrature ont été reconnus, copiés, parfois même bizarrement singés, – là est quelque chose d’européen. Rome est le modèle éternel de la puissance organisée et stable. […]

« Vint ensuite le christianisme. Vous savez comme il s’est peu à peu répandu dans l’espace même de la conquête romaine. […] Mais, tandis que la conquête romaine n’avait saisi que l’homme politique et n’avait régi les esprits que dans leurs habitudes extérieures, la conquête chrétienne vise et atteint progressivement le profond de la conscience. […]

« Ce que nous devons à la Grèce est peut-être ce qui nous a distingués le plus profondément du reste de l’humanité. Nous lui devons la discipline de l’Esprit […]. Nous lui devons une méthode de penser qui tend à rapporter toutes choses à l’homme, à l’homme complet […]. « De cette discipline la science devait sortir, notre science, c’est-à-dire le produit le plus caractéristique, la gloire la plus certaine et la plus personnelle de notre esprit. L’Europe est avant tout la créatrice de la science. Il y a eu des arts de tous pays, il n’y eut de véritables sciences que d’Europe.


Paul Valéry, Variété I, Extraits des Essais quasi politiques, "La crise de l’esprit", Deuxième lettre.


1. L'invention de l'Europe par les Grecs

A. L'Europe comme figure mythologique

Chez Hésiode [VIIIe siècle BC] dans la Théogonie (V, 357), chez Pindare [Ve s BC] (Pythiques, IV, 44) et d’autres auteurs, Europe est une déesse de la mer, fille de Thétys (????? / Têthýs), déesse marine et Océan (??ea??? / Ôkeanós), un Titan, voire épouse de Poséidon dans d’autres cas.

Dans nombre de textes, il s’agit en revanche d’une mortelle : plusieurs sources, à commencer par l’Iliade (XIV, 321sqq) [IX-VIIIe BC], la présentent comme une princesse phénicienne, la fille d’Agénor et Telephassa, souverains de Tyr en Phénicie, actuelle ville de Sour, au Liban.

L'enlèvement d'Europe par Zeus selon Les Métamorphoses d'Ovide, Livre II vers 847à 867

" Lui, le père et le maître des dieux prend l'apparence d'un taureau ; mêlé au jeune troupeau, il mugit et de sa belle allure, il foule l'herbe tendre. C'est qu'en effet, sa couleur est celle de la neige (...) De son cou, les muscles sont saillants, (...) jusqu'à ses épaules pend son fanon ; ses
cornes sont petites (...) Sur son front, aucune menace et rien à redouter dans ses yeux ; la paix resplendit sur sa face. La fille d'Agénor s'étonne de voir un animal si beau et si peu enclin aux combats ; mais en dépit de sa douceur, elle craint d'abord de le toucher. Bientôt elle s'approche de l'animal et offre des fleurs à sa bouche d'une blancheur éclatante. Tantôt l'animal folâtre et bondit dans l'herbe verte, tantôt il pose son flanc de neige sur le sable fauve ; et quand il a peu à peu fait disparaître la peur de la jeune fille, il lui présente tantôt son poitrail à flatter de la main, tantôt ses cornes à entourer de fraîches guirlandes. La jeune princesse osa même, ignorant qui la poursuivait de ses assauts, s'asseoir sur le dos du taureau.
(...) Et il emporte sa proie en pleine mer. Europe enlevée tremble d'effroi et regarde en arrière le rivage qu'elle a quitté ; de sa main droite, elle tient une corne ; sa main gauche, elle l'a posée sur la croupe de l'animal ; ses vêtements frissonnent et ondulent sous le souffle du vent".

Cet animal n’est autre que Zeus qui, une fois de plus séduit par une mortelle, a pris pour l’approcher la forme d’un taureau. Zeus-taureau traverse la mer pour atteindre la Crète et s’arrête près de la ville de Gortyne. C’est là, près d’une source, dans un bois de saules, qu’il s’unit à Europe. De l’union avec Zeus naissent trois fils : Minos, Sarpédon et Rhadamante. Zeus marie ensuite Europe au roi de Crète, Astérion, qui adopte les fils de celle-ci.

Le mythe d'Europe [site du CRDP de l'Académie de Paris]

Le mythe de l'enlèvement d'Europe représenté dans la poterie grecque: ci-dessous le détail d'un vase Athénien datant d'environ 540 av J.C.

 

Le mythe d'Europe connaît une grande notoriété dans l'art gréco-romain du VI av. J-C au VIe siècle ap J-C.

Fresque de la Maison de Jason à Pompéi.Europe apparaît ici comme une figure impie des amours de Jupiter.

 

Le mythe de l'enlèvement d'Europe dans la peinture de l'époque moderne

Le mythe d'Europe a connu un regain d'intérêt à partir de la Renaissance.

 

Attribué à Jean Cousin, le Fils (XVIe siècle) - Musée des Beaux-Arts de Blois.

Rubens (XVIIe siècle)

 

Van Balen Hendrik, l'Ancien (XVIIe siècle)

Guido Reni (XVIIe siècle)

François Boucher (XVIIIe siècle)

 

 

Pour en savoir plus. L'enlèvement d'Europe représentée sur une pièce grecque de 2 euros....


B. L’Europe comme espace géographique

Les Grecs de l’époque classique ne font aucun lien avec le nom de la princesse phénicienne, même si Hérodote s’interroge à ce sujet.

 

Le monde selon Herodote

Les Grecs, sans doute vers la fin du VIe siècle av. J.-C., ont divisé le monde connu en « parties », trois à l'époque, l'Europe, l'Asie et la Libye.
Le monde selon Eratosthène (astronome et géographe grec - IIIe siècle av. J-C)

Source de la carte

Pour en savoir plus

 

Le monde selon Eratosthène (astronome et géographe grec - IIIe siècle av. J-C)

Étymologie incertaine du mot « Europe » :

- Europe provient de l’adjectif grec « eurus » qui signifie « large », et du nom « ops » c’est l’œil, la face, la vision. Donc Eurôpé, c’est « la terre vaste », sans limites. L'Europe est, pour Hérodote et pour ses contemporains du Ve siècle av. J.-C., beaucoup plus vaste et plus mystérieuse que l'Asie...

- Europe dérive de la langue akkadienne (Mésopotamie ») : ereb = « Occident »

La liaison entre mythologie et géographie se fait au IIe s. BC. Texte fondateur du poète alexandrin Moschos qui, le premier, établit un lien idéologique entre le mythe d’Europe et le continent.

C. Le monde grec n'est pas un monde européen


2. Les Romains et l'Europe

 

L'Empire romain à son apogée (IIe siècle après J-C)

 

Le monde selon Strabon (Ier siècle avant J-C)

 

 

Né vers 64 av. J.C. à Amasée (auj. Amasya) dans le Pont, l’une des provinces les plus orientales de l’empire romain, Strabon était l ‘exact contemporain de l’empereur Auguste auquel il survécut une dizaine d’années. Après des études essentiellement grecques en Asie mineure, il vint à Rome vers 45, y fit probablement un assez long séjour, puis y revint à maintes occasions.

Strabon rédigea un traité intitulé La Géographie (en 17 livres dont 8 pour l’Europe). Il désirait mettre au service des préfets de l’Empire l’ensemble des connaissances qui leur seraient indispensables pour administrer les provinces : « il serait plus facile de prendre en main un pays si l’on connaissait ses dimensions, sa situation relative, les particularités originales de son climat et de sa nature ».

Selon Strabon, l'Europe "est à la fois variée de formes et admirablement adaptée par la nature au développement de l’excellence des hommes et en gouvernements, et aussi parce que, grâce à ses ressources, elle a contribué à l’amélioration des autres continents ».

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