Université de Paris 1 - Année universitaire 2009-2010

"Penser et construire l'Europe (XIXe - XXIe siècle)"

Séance 8:

Géopolitique de la construction européenne

 

 

 

 

 

 

 

 


I. L'Europe jusqu'où?

« La première question qui se pose lorsque l’on veut organiser l’Europe, c’est de savoir ce que l’on doit entendre par Europe. C’est là la première et très grande difficulté ».
Emile Borel (décembre 1929)

A. Quels critères?

* Europe = civilisation ?
Europe « fille de Socrate et du Christ » (André Siegfried)
« L’idéalisme chrétien, armé par l’esprit grec et s’appuyant sur l’ordre romain, a fait la gloire de l’Europe » (Lucien ROMIER, Nation et civilisation, Paris, 1926).

Christian F. Heerfordt et son « Initiative scandinave » : « L’Europe n’est plus en réalité l’Europe, mais comprend les quatre parties du monde et de grandes portions de la cinquième »

* Europe = continent?
Selon Coudenhove, la SDN serait restructurée sur la base des « cinq champs de force planétaires »
- L’américain
- Le Britannique
- Le Russe
- L’Extrême-oriental
- Le Russe

* Europe = espace démocratique?
Les ambigüités de l’entre-deux-guerres
Richard Coudenhove-Kalergi : « Etats continentaux démocratiques et semi-démocratiques » (Paneurope, 1923)
Jean Luchaire : «  l’Europe est une. Et on finira pas l’organiser unitairement, à condition que chacun respecte l’évangile du voisin » (12 février 1937).

Construction européenne après 1945
CEE : dictatures exclues
AELE : présence du Portugal


B. L’ancrage occidental de la construction européenne après 1945

La concurrence des architectures européennes

- l'OECE : 16 pays
- le Conseil de l'Europe : 10 pays
- la CECA (1950) – CEE : 6 pays
- l’UEO : 7 pays
- l’AELE : 7 pays

Carte des étapes de la construction européenne

* 1973 : Elargissement vers le Nord

1er-2 décembre 1969 : Sommet de La Haye = "élargissement"

Juin 1970 : ouverture des négociations avec :
- le Royaume-Uni
- l'Irlande ( « Notre véritable indépendance date de 1973 et non de 1922 » (Garrett Fitzgerald, 1975)
- le Danemark
- la Norvège

22 janvier 1972 : traité de Bruxelles

Référendums
10 mai 1972 : 81% Irlandais se prononcent en faveur de l’adhésion
1er-2 octobre : 63% Danois favorables à l'adhésion
25 septembre : 53,5% des Norvégiens rejettent l’adhésion.

Bilan du 1er élargissement :

- Naissance de l’acquis communautaire
- Décembre 1973 : sommet de Copenhague: « identité européenne »
- Dès 1974, la Grande-Bretagne remet en cause ses conditions d’adhésion

* 1981-1986 : 2e élargissement aux pays méditerranéens

Contexte : crise économique et conflit agro-budgétaire

Grèce (1975), Espagne et Portugal (1977) demandent adhésion CEE.

Le 2e élargissement crée une nouvelle dynamique :

Les pays candidats ont subi régimes dictatoriaux. De ce fait, la CEE = horizon d'attente et espoir pour les populations européennes vivant sous une dictature. La CEE devient un objectif fondamental pour ces nouveaux régimes en quête de consécration et de reconnaissance démocratiques.

Les pays candidats des caractéristiques économiques proches

Grèce : accord d’association en 1961, suspendu pendant la dictature
1er janvier 1981 : adhésion

Accord commercial préférentiel entre Espagne et CEE le 29 juin 1970
Espagne/Portugal: négociations difficiles => Adhésion au 1er janvier 1986

C. Les élargissements post-guerre froide

* 3e élargissement (1995) :Pays neutres

Autriche (dépose sa candidature en 1989), Suède (1991), Finlande (1992) demandent adhésion
Problème de leur statut de neutralité/PESC
+ Norvège (1992)

Traité d'adhésion signé lors du Conseil européen de Corfou (24 juin 1994)

Ratifications

12 juin 1994 : Autriche (66,6% oui)
16 octobre 1994 : Finlande (56,9%)
13 novembre 1994 : Suède (52,7%)
27-28 novembre 1994: 52,3% de non en Norvège

1er janvier 1995 : entrée en vigueur de l’adhésion

* Elargissement de 2004-2007 : PECO + Chypre et Malte

Ampleur inédite
- Traditions démocratiques faibles

- Retard économique spectaculaire

-Désir des PECO d’intégrer les structures occidentales (CEE-OTAN) Cf. Milan Kundera (1983) « L’Occident kidnappé » (par l’URSS)

Accords d’association (dès 1991 pour la Hongrie et la Pologne)
Candidatures (1994-1996)

JUIN 1993 : le Conseil européen de Copenhague définit les critères qui s'appliquent à tout pays candidat à l'adhésion à l'UE


- Démocratie : la présence d'institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection
- Economie libérale : l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union européenne
- Reprise de l'acquis communautaire : la capacité du pays candidat à en assumer les obligations, et notamment de souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire

L'UE fournit une aide financière aux pays de l'Est (1990-2005 : 28 milliards € UE=>PECO)
Traités d'adhésion signés à Athènes le 16 avril 2003 (photo)
1er mai 2004 : adhésion effective de 10 nouveaux pays.
Bulgarie et Roumanie signent traité d'adhésion en avril 2005 et adhèrent le 1er janvier 2007.

Elargissement ni précédé ni accompagné d'un approfondissement de l'intégration politique et institutionnelle de l'Union. Cf. Elargissement de 1973/sommet de La Haye (1969): « achèvement, approfondissement, élargissement » + Elargissement de 1981-1986/Acte unique européen (1986) + Elargissement de 1995/traité de Maastricht (1992)

C. Les candidats « officiels » : Turquie + Balkans occidentaux

* La Turquie

Entre-deux-guerres : une Turquie plus asiatique qu’européenne? 20 octobre 1923 : Proclamation de la République de Turquie (Mustafa Kemal Atatürk)
« [La guerre a eu pour conséquence] le recul vers l’Orient de deux grands peuples, les Russes et les Turcs. La comparaison de la carte politique d’avant-guerre […] la Turquie repliée sur l’Asie mineure, tous les deux désormais plus asiatiques qu’européens » - Jean Hennessy (1930)

Choix occidental de la Turquie après la 2e GM : elle adhère au Conseil de l’Europe en 1949 et à l’OTAN en 1952.
31 juillet 1959 : demande association CEE
12 septembre 1963 : accord d’association signé à Ankara.
1er janvier 1996 : entrée en vigueur de l’Union douanière UE/Turquie

14 avril 1987 : Turquie présente officiellement sa candidature à l’adhésion à la CEE
Décembre 1991 : Conseil européen d’Helsinki : Turquie a vocation à rejoindre Union
26 février 2000 : Conseil UE adopte un partenariat pour l’adhésion

Sommet de Copenhague (12 et 13 décembre 2002) : date de l’examen final de la candidature de la Turquie fixé à décembre 2004.
Sommet de Bruxelles (17 décembre 2004) : ouverture des négociations fixée au 3/10/2005.

Le cas de la Turquie (sur le site www.ena.lu, avec très nombreux documents)

* Les Balkans :

1999 : processus de stabilisation et d'association (PSA)

Les États des Balkans occidentaux bénéficient depuis le Conseil européen de Feira (juin 2000) du statut de "candidats potentiels à l'adhésion" (confirmé lors du sommet UE-Balkans occidentaux à Thessalonique en juin 2003). Seuls deux pays sont officiellement candidats :

CROATIE : Octobre 2005 : ouverture négociations adhésion UE/Croatie
MACEDOINE : pays candidat (Conseil européen de Bruxelles décembre 2005) mais les négociations n'ont pas encore commencé

Deux États européens, restés jusqu’à présent à l’écart de l’Union, pourraient aussi se décider à la rejoindre.

La Norvège, associée à l’espace Schengen et membre de l’Espace économique européen, doit déjà appliquer, à ce titre, un bon nombre des directives et des règlements de l’Union, sans pouvoir intervenir sur leur contenu. Elle doit participer au financement de l’élargissement de l’UE aux nouveaux États membres puisqu’elle aura accès à leurs marchés. D’où un sentiment de marginalisation qui pourrait conduire à un nouveau débat sur l’adhésion, rejetée en 1972 et en 1994.

La Suisse : elle avait posé sa candidature en mai 1992 avant de la retirer en rejetant l’adhésion à l’Espace économique européen, elle a multiplié les accords bilatéraux avec l’Union dont elle se rapproche à petits pas, laissant ouverte l’éventualité d’une nouvelle candidature.

II. L’Europe unie et ses voisins

A) L’UE et la Russie

Russie exclue de nombreux projets européistes de l’entre-deux-guerres
« L’Union des Républiques soviétiques est aujourd'hui une puissance mondiale eurasiatique (…). Elle a renié le système démocratique européen, ce qui signifie, politiquement, sa séparation avec l’Europe » (Coudenhove, Pan-Europe, 1923).

Mais pour certains, ce serait une erreur pour l’équilibre économique du continent...

1957-1985: l'URSS et la CEE, de l'hostilité de principe au rapprochement de circonstance
Gorbatchev : « Maison commune »
Juin 1988 : déclaration commune CEE-COMECON
Retour vers l’Europe, CEE = « civilisation » vers laquelle l'URSS doit tendre

1994 : accord de partenariat et de coopération (APC) UE/Russie

Marie-Pierre REY : La Russie et l’Europe occidentale : le dilemme russe (fichier pdf)

B) La politique européenne de voisinage (2003)

Carte en ligne sur l'Union européenne et ses voisins


= contribuer à la transformation des Etats voisins en zone de stabilité et de prospérité sans recourir à la motivation à l’adhésion
Pays au sud de la Méditerranée + 6 pays à l'est de l'Europe (Moldavie, Ukraine, Biélorussie, Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie).

En savoir plus sur la politique européenne de voisinage (site www.ena.lu)

C) Le partenariat euro-méditerranéen

27-28 novembre 1995 : conférence de Barcelone
concilier besoin de sécurité de l‘UE vis-à-vis de la zone conflictuelle du Proche-Orient et besoins de développement des pays méditerranéens.
27 UE + 10 partenaires méditerranéens

Volet politique : « zone de paix et de solidarité »
Volet économique : zone de libre-échange d’ici 2010.
Volet social et culturel

Le processus est réactivé par l'Union pour la Méditerranée de Sarkozy

3 mars 2008 : accord franco-allemand sur la question
14-15 mars 2008 : Conseil européen de Bruxelles: accord de principe concernant l’« Union pour la Méditerranée »
13 juillet 2008 : création officielle du « Processus de Barcelone : l'Union pour la Méditerranée » (sommet de Paris).
27 + 16 Etats de la rive Sud de la Méditerranée

En savoir plus sur le site de La Documentation française

 

III. L’Europe en construction et l’Afrique

A) L'Eurafrique

Coudenhove-Kalergi : « L’Europe est fille de l’Asie – et la mère de l’Amérique – mais elle est aussi la maîtresse de l’Afrique. C’est pourquoi l’Europe est liée par la destinée de l’Afrique, responsable du destin de l’Afrique.

Jules Destrée (socialiste belge) : « L’Afrique, colonie européenne » (juin 1929)

Henri de Jouvenel : « Prévu ou non, le fait semble évident : la fédération européenne suppose le bloc africain » (La paix française (1932)

Paolo d’Agostino Orsini, Eurafrica, L’Europa per l’Africa, l’Africa per l’Europa (1934)


B) L’association des territoires d’outre-mer à la CEE

9 mai 1950 : déclaration Schuman : « L'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation d'une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain ».

Traité de Rome : association des territoires d’outre mer à la CEE pour 5 ans :
- Volet commercial : zone de libre-échange est instaurée entre les Six et chacun des pays associés
- Volet financier : Fonds Européen de Développement

Les conventions de Yaoundé

2 juillet 1963 : 1ère convention
Yaoundé I (1963-1969)
- Avantages tarifaires
- Fonds européen d’investissement

Yaoundé II (1969-1974)



C) Les accords ACP

Lomé I : accords signés le 28 février 1975 par les Neuf et 46 États ACP (Asie-Caraïbes-Pacifique.

- Libre accès (sans réciprocité) au marché communautaire de la quasi-totalité des marchandises originaires des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
- Système d'indemnisation des pertes de recettes d'exploitation pour les produits agricoles appelé STABEX.

Lomé II (1980-1985)
Lomé III (1985-1990)
Lomé IV (1990-2000)

2000 : accords de Cotonou (conclus pour 20 ans) entrent en vigueur le 1er avril 2003, après sa ratification par les 15 pays membres de l'UE et les 76 pays signataires.
25 juin 2005 : signature d’un Accord révisé par l'UE et les pays ACP.